
Le réchauffement climatique sera-t-il demain la cause de migrations sans précédent à l'échelle de la planète ? Mercredi 28 avril 2010, dans le cadre du festival de cinéma "Fenêtres sur le monde", s'est justement tenue à La Ferronnerie de Dijon une soirée-débat sur l'impact du changement climatique sur les populations. La question cruciale de la migration s'est vite retrouvée au centre des débats, animés par Donatien Garnier et Laurent Weyl, tous deux journalistes et membres du collectif Argos*. Les réfugiés climatiques n'ont pas fini de faire parler d'eux avant le sommet de Cancun (Mexique) sur le climat, prévu pour la fin de l'année 2010...
Des réfugiés d'un nouveau genre
«Nous sommes allés sur plusieurs points du globe où l'impact du réchauffement climatique est déjà perceptible et où les gens souffrent», résume le journaliste Donatien Garnier. Avec son confrère Laurent Weyl, ils se sont particulièrement intéressés à l'adaptation des populations devant les changements dus au climat. «Face à la montée du niveau de la mer, certains habitants des iles au beau milieu de l'Océan pacifique envisagent de surélever leurs habitations, comme c'est le cas dans l'archipel des iles Tuvalu».
L'adaptation aux changements du climat (multiplication des périodes de sécheresse, d'intempéries, érosion des berges, fonte de la glace, etc.), certes mais jusqu'à quand ? «Dans de nombreux cas, la seule solution, c'est souvent la migration », enchaine le photographe Laurent Weyl. Cependant, derrière la migration d'un peuple, se pose la question de la perte de son identité, de ses coutumes et de sa langue, sans parler de celle de son environnement culturel». Et quand on parle des migrants climatiques à venir, se pose logiquement la question des lieux et conditions d'accueil...
Déjà des réfugies climatiques à Dijon ?
Pour les responsables de du Comité inter mouvements auprès des évacués (CIMADE - association d'aide aux migrants et aux demandeurs d'asile), à Dijon, « pour l'instant, il n'est pas question de "réfugiés climatiques" en tant que tels. Même si nous avons à faire à quelques personnes qui ont du fuir du Sahel pour cause de sécheresse, le changement climatique n'est pas la cause principale du départ des migrants que nous pouvons côtoyer. Les causes sont avant tout d'ordre économique ».
Même son de cloche auprès de l'ONG Médecins du Monde à Paris, pour qui les migrants actuellement présents sur le sol français ont d'abord fuit les difficultés économiques et les guerres. Aujourd'hui, la majorité des réfugiés sont des déplacés internes, autrement dit au sein du même pays. Au Bangladesh par exemple, situé dans l'immense delta du Bengale, des inondations de plus en plus fréquentes détruisent des villages de pêcheurs, les obligeant à émigrer dans les villes. «Dhaka, la capitale, est déjà surpeuplée et de plus en plus de migrants tentent de passer la frontière pour aller en Inde et ceux qui y parviennent finissent le plus souvent dans les bidonvilles de Calcutta», déplore Donatien Garnier.
Les guerres de demain seront-elles climatiques?
A l'avenir, les pressions migratoires d'origines climatiques pourraient bien constituer une source de conflit entre États. Cependant, d'après Sarah Lacarrière, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), à Paris : «Actuellement, en France, nous n'observons pas de migrations massives d'origine climatique. Le facteur climatique est plutôt un facteur aggravant, qui vient s'additionner aux autres, essentiellement d'origine économique et politique. Il importe donc de rester prudent au sujet des différents scénarios envisagés ici et là et relayés dans les médias.» Cependant, Sarah Lacarrière concède qu'à l'avenir, nous risquons effectivement d'être soumis à de fortes pressions migratoires.
Plus largement, la question du réchauffement climatique et de ses conséquences compte parmi les enjeux géopolitiques internationaux les plus importants. D'après le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), passé un certain seuil d'une hausse des températures moyennes de 2°, la machine climatique devrait s'emballer avec des effets démultipliés. Et même irréversibles ! «Le GIEC pronostique des scénarios inquiétants qui, fortement médiatisés, ont eu un effet mobilisateur auprès de l'opinion publique mondiale. C'était le cas au moment du sommet de Copenhague en décembre 2009», explique Sarah Lacarrière.
"Come back" des climato-sceptiques
Cette prise de conscience des enjeux d'ordre climatique au sein de l'opinion n'empêche pas les "climato-sceptiques" de montrer à nouveau le bout de leur nez, du scientifique Claude Allègre au président tchèque Vaclav Klaus. Le sommet de Copenhague sur le climat en décembre 2009 s'est révélé décevant, les États n'ayant finalement conclu qu'un accord politique a minima : la hausse de la température moyenne de la planète devra être contenue en-dessous de 2°C par rapport aux niveaux pré-industriels. En outre, cette disposition n'est assortie d'aucune garantie car l'accord ne mentionne pas de date à laquelle les émissions polluantes devront cesser d'augmenter. D'après le chercheur de l'IRIS, "le problème, c'est aussi que nous n'avons pas d'objectifs précis pour l'après 2012".
Ainsi, dans ces conditions, difficile d'envisager une amélioration des conditions de vie pour les victimes des changements climatiques, qui sont le plus souvent des habitants des pays du sud, autrement dit des pays pauvres. Habitants du Sahel qui n'ont plus d'eau ou de l'Arctique qui voient fondre leur territoire, ils sont les premiers touchés alors qu'ils contribuent très peu au réchauffement. D'après l'ONU, 150 millions de réfugiés climatiques pourraient être déplacés d'ici à 2050...
* Le collectif Argos, fondé en 2001, rassemble dix journalistes (rédacteurs comme photographes) engagés dans une démarche documentaire centrée sur les mutations écologiques et sociales du monde. Le collectif Argos vient de publier "Réfugiés climatiques" aux éditions Carré.
