Alise-Sainte-Reine. L'histoire a retenu son nom comme étant le lieu où s'est tourné l'une des premières pages de l'histoire de France : la bataille d'Alésia. Symbole de l'identité bourguignonne, acte de naissance de la nation française, cette bataille reste pour une poignée d'irréductibles une véritable imposture. Danielle Porte, enseignante à la Sorbonne*, en a fait le combat d'une vie...
Une controverse séculaire
Nous sommes en 52 avant Jésus-Christ. Les armées romaines sont en guerre depuis déjà six ans sur les terres gauloises et une coalition autour d'un chef charismatique commence à se former. Ce chef, Vercingétorix, pousse les Romains au repli à Gergovie, mais se retrouve assiégé quelques mois plus tard sur l'oppidum d'Alésia, une place forte qui reste le dernier point commun entre la version élaborée par Napoléon III en 1864 et celle d'André Berthier, conservateur en chef des archives nationales entre 1966 et 2000.
Pour comprendre son raisonnement, prolongé à sa mort par Danielle Porte, il faut se plonger dans les textes latins et dans l'une des plus célèbres œuvres : "La guerre des Gaules" d'un certain Jules César, vainqueur de la guerre justement. Ainsi, la ville d'Alésia est dite "au sommet d'une colline à une grande altitude, en sorte qu'on voyait bien qu'il était impossible de la prendre autrement que par un siège en règle. Le pied de la colline était, de deux côtés, baigné par deux cours d'eau".
De contradictions en contradictions, le terrain semble miné pour les décideurs politiques, certains que le site se trouve à Alise-Sainte-Reine. Ainsi, en novembre 2004, le président du Conseil Général d'alors, Louis de Broissia, affirmait en 2004 dans le Journal Le Point : " Preuve que nous sommes sûrs de notre fait : je propose que nous financions une campagne de fouilles dans le Jura pour que cesse une fois pour toutes cette querelle (...) Nous nous proposons même de leur offrir un espace dans le musée que nous ouvrirons sur place en 2007, pour qu'ils viennent exposer leur thèse". Aujourd'hui, aucune de ces promesses n'a été tenue et une nouvelle bataille semble s'engager...
Alise-Sainte-Reine = supercherie ?
Soutenue par des historiens et quelques journalistes, Danielle Porte surenchérit : "Ils peuvent bien extraire de leurs 70 millions d'euros prévus pour le muséoparc les tout petits 10 ou 15 000 euros qui nous suffiraient à nous pour "sortir" le Camp Nord, ne serait-ce que pour tenir leurs promesses bien imprudentes...". Et elle n'en démord pas, affichant un aplomb sans faille : "Aujourd'hui, tout le monde sait qu'Alésia n'est pas à Alise-Sainte-Reine mais on assure sereinement le contraire pour des raisons essentiellement économiques".
Il faut dire que le muséoparc qui sort de terre depuis avril 2009, mémoire du siège de 52 avant J-C, promet la création de 120 emplois et la venue de 150 000 visiteurs par an. Un investissement de 52 millions d'euros, véritable aubaine pour la région, économiquement sinistrée depuis plusieurs années. Et pourtant, il n'y a qu'à consulter la page wikipédia du siège d'Alésia et son historique de modification pour comprendre combien il est difficile de faire prévaloir cette hypothèse dans la communauté scientifique.
Depuis 150 ans, cette thèse se présente comme seule et unique hypothèse possible or la concurrence de Chaux-de-Crotenay dans le Jura se fait plus que sentir. Déjà en 1855, Alphonse Delacroix a voulu prouver que l'Alésia de César correspondait au village d'Alaise, à 25 km au Sud de Besançon. Jusqu'à aujourd'hui, d'autres sites (Izenore en Savoie, Novalaise dans l'Ain, Salins dans le Jura, Guillon dans l'Yonne) ont postulé au titre d'Alésia avec le succès qu'on connait. Alors où se situe Alésia ? Où se situe l'oppidum des Mandubiens ?
De nombreuses incohérences
"Tout dans le texte de César plaide en faveur du site jurassien"; assure Danielle Porte. A commencer par les fossés, pour la plupart du temps synonymes de protection mais qui, à Alise-Sainte-Reine, mesurent 35 cm de profondeur... Une nouvelle aberration pour ce professeur, qui note aussi que la topographie même des lieux ne correspond pas aux dires de l'empereur romain. En 1964, André Malraux, alors ministre de la Culture, envoie André Berthier sur ce site de Chaux-en-Crotenay avec la mission de "partir à la recherche de notre premier champs de bataille".
Aujourd'hui, si les autorisations de fouilles ont été suspendues, malgré leur succès, la détermination reste inchangée. Selon les textes, 95 000 guerriers prenaient place à l'intérieur de cette "très grande cité (...) très peuplée". "A ceci on ajoute le reste de la population, les troupeaux, les 15 000 chevaux, et on se rend compte que tenir sur un plateau de 97 hectares pendant un mois et demi est totalement incohérent". Les deux rivières qui baignent les racines de la colline sont transformées en 3 ruisseaux, la plaine de 4,5 km n'est pas entouré de collines et s'étend sur plusieurs kilomètres ... César pouvait il exagérer les chiffres ? Etait-il même amnésique au point d'oublier le mouvement de ses légions ?
"Impossible ! En quoi ceci l'aurait-il avantagé alors qu'il n'a mené qu'un siège pour remporter cette bataille ?". Mais alors, que manque-t-il à Chaux-de-Crotenay ? A première vue, le mea culpa de toute une génération d'archéologues et d'historiens mais pas uniquement. Il faut avouer aussi que le nom même de Chaux de Crotenay, certes peu poétique, ne rappelle en rien Alesia. Néanmoins, la disciple d'André Berthier entend bien prouver le contraire : Chaux serait dérivé de Calmis, "le Mont chauve", où rien ne subsiste, et qui viendrait supplanter le nom de la cité, détruit avec elle...
Alors que les défenseurs de la version officielle "ne se montrent que très peu quand ce sujet est abordé", Danielle Porte garde un vœux pour 2010 : redonner à Alise sainte-Reine son vrai nom d’Alisia en lui ôtant celui d’Alésia, qu’elle usurpe depuis 1864...
* Maître de conférence, Danielle Porte enseigne les religions et l'histoire romaine au sein de l'Institut d'études latines de la Sorbonne.