A l’heure ou les Français s’avèrent plus fumeurs que jamais*, un arrêté autorisant courant 2011 l'impression d'images chocs sur les paquets de cigarettes doit être publié avant la fin de l'année. Poumons calcinées, tumeurs avancées et dents gâtées : autant d’images censées faire réagir fumeurs comme non fumeurs et lutter contre le tabagisme. Qu’en pensent les Dijonnais et les "spécialistes de la nicotine"? Retour sur un décret qui ne fera peut-être pas un tabac...
"Recouvrez ce paquet que je ne saurais voir"
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les avis sont partagés, y compris au sein de notre rédaction. Toutefois, cette mesure laisse sceptique beaucoup de fumeurs comme de non fumeurs. "En Thaïlande, il y avait ce genre de paquets. Au début, on marque un temps d’arrêt devant l’image mais ça n’empêche rien : on finit par s’habituer à celle-ci", déclare Lydie, fumeuse depuis de nombreuses années. Xavier, fumeur également, est du même avis : "Je pense que les gens vont s’habituer ou vont cacher les paquets avec des supports, ces images ne feront pas arrêter de fumer."
Recouvrir le paquet et dénier les images semble en effet être l’astuce-clé pour "oublier" ces photos pour le moins difficiles à supporter : "Les images chocs ne serviront à rien : si ça gêne vraiment les fumeurs, ils trouveront bien un ancien paquet ou une boite colorée pour recouvrir le paquet", avance Greg, non fumeur de son état. Sabine, ancienne fumeuse, approuve : "Si je fumais encore, je suis certaine que j’achèterais un étui pour cacher cet odieux paquet inesthétique !"
Certains (mais ils sont peu nombreux) déclarent néanmoins être favorables à la mesure. C’est le cas de Cyril, jeune non fumeur : "Je pense que plus les informations sont nombreuses, mieux c’est. Grâce à toutes les informations négatives que l’on m’a données sur la cigarette alors que j’étais adolescent, je n’ai pas commencé à fumer." Or Cyril ne représente pas la majorité des jeunes, loin s’en faut...
Des images trash qui plaisent aux jeunes ?
Selon certains spécialistes, ces images pourraient en effet provoquer l’effet inverse chez les adolescents. "Avec ces images, nous sommes dans la transgression, ce qui va sans doute plaire aux jeunes. Ces images vont probablement avoir un effet attrayant", souligne Jean-Loup Duros, médecin coordonnateur de TAB'AGIR, association bourguignonne informant sur les risques liés au tabac. Pour ce médecin, la mesure peut surtout avoir une influence chez les "vieux fumeurs" : "Cela va sans doute fonctionner chez les personnes qui ont des années de tabac derrière elles, les fumeurs déjà marqués par la vie." Le Docteur Gisselman, chef du service Psychiatrie Générale et Addictologie de l’hôpital général de Dijon, est du même avis : "Cette mesure ne sera pas dissuasive chez les adolescents. A mon avis, ces images pourront même donner lieu à des collections comme celles des images de foot."
Seul Gérard Audureau, président de l’association Droits des non fumeurs, pense que l’impact chez les jeunes peut être effectif : "Le fait de mettre ces images sur les paquets de cigarettes peut jouer chez les plus jeunes et les empêcher de rester dans le tabagisme. Ces avertissements un peu hard sont une bonne chose ; dommage que l’Etat ait cédé sur la taille des images face aux fabricants de cigarettes et aux débitants de tabac." Après un an de lobbying des buralistes et fabricants de tabac, la taille de l’avertissement a en effet été revue à la baisse. Les photos seront imprimées au dos du paquet, en bas et en petit. Elles seront réduites à 40 % du paquet contrairement à la totalité comme le voulait la Direction générale de la santé.
Contre le tabagisme, quelles autres solutions ?
Nous l’avons vu, ces images ne semblent pas forcément être la solution idéale pour lutter contre le tabagisme. Pour combattre le phénomène, nos trois spécialistes ont chacun des propositions différentes et originales.
Pour le Docteur Duros, la banalisation du paquet est un moyen efficace de lutte contre le tabagisme : "Je pense que banaliser la cigarette à l’aide de paquets génériques et mettre l’accent sur les messages positifs comme : "On se sent mieux lorsqu’on ne fume plus", dissuaderaient efficacement de fumer. Il y a quelques années, les publicités faisaient croire aux adolescents qu’ils seraient forts en fumant ; maintenant, les couleurs des paquets évoquent des choses positives, certains ressemblent à des boites de chocolats. En banalisant les cigarettes, on perd ces aspects attrayants."
Contre le tabagisme, le Docteur Gisselman propose une idée simple mais radicale : "Je me demande s’il ne faudrait pas permettre aux fumeurs de se procurer des gommes et médicaments gratuitement afin que le prix des produits ne soit pas un frein à l’envie d’arrêter de fumer." Et les non fumeurs mécontents ? "Il vaut mieux ça au paiement des soins liés aux cancers des poumons."
Enfin, Gérard Audureau préconise une solution radicale : l’augmentation du prix des cigarettes. "Une forte augmentation du tabac (10% par exemple) est de loin reconnue par la Banque mondiale comme la méthode la plus efficace pour faire chuter la consommation de tabac." Efficaces ou non, ces images ont en tout cas le mérite de soulever beaucoup d’interrogations...
*La filiale française du fabricant British American Tobacco a annoncé une hausse du nombre de cigarettes vendues de 2% cette année