Les premières règles relatives à la grève ont été des règles de répression (Loi Le Chapellier 14-17 juin 1791 interdisant les coalitions). Depuis 1946 le droit de grève est reconnu comme un droit fondamental, une norme de valeur constitutionnelle. Périodiquement, une intervention législative est envisagée. Si dans le secteur public le législateur est intervenu, dans le secteur privé, peu de textes ont été adoptés.
Face à ce vide législatif, le juge joue un rôle déterminant. A la suite de l'échec de négociations salariales, un contrat a été proposé aux salariés de GT Logistics (appartenant à un groupe dont le chiffre d'affaires s'élève à près de 100 millions d'euros en 2007). Selon les termes de ce contrat le salarié s'engage à « assurer la permanence de sa prestation » de travail ; en contrepartie de cette promesse, une « avance permanente de 1000 euros » lui est versée, somme qui sera remboursable en cas de non-respect de cette clause.
C'est dans ce contexte que le juge des référés, juge de l'urgence, a été saisi. Rendant sa décision le 15 avril dernier, il ordonne l'annulation du contrat de garantie. Comme le soutenaient les salariés, le juge retient que ce contrat conduit à exercer une menace ou une pression sur chaque signataire et constitue "une atteinte manifeste au droit de grève des personnels ayant signé le document ». Contrairement à ce qu'affirmait l'entreprise, il ne s'agissait pas d'une prime antigrève. En effet, ces primes, appelées aussi primes d'assiduité, visent à récompenser la présence régulière des salariés ou à les dissuader de toute forme d'absentéisme, l'absence du gréviste justifiant leur réduction, voire leur suppression.
C'est pourquoi, l'article L.521-1 du Code du travail précise, depuis la loi du 17 juillet 1978, que l'exercice du droit de grève ne saurait donner lieu de la part de l'employeur à des mesures discriminatoires en matière de rémunération et d'avantages sociaux. Les primes d'assiduité ne sont pas interdites, mais toute absence, quelle qu'en soit la cause, doit entraîner les mêmes conséquences : l'absence pour grève pourra conduire à un abaissement de la prime si, par exemple, l'absence pour maladie provoque le même abattement. Cette solution est sans cesse confirmée par la jurisprudence. Le système mis en place par GT Logistics est plus complexe, et pervers. Il s'agit d'un véritable contrat antigrève : les salariés signataires s'engagent à ne pas faire grève en contrepartie d'une somme d'argent. Cette promesse établit une sorte de dette permanente du salarié au bénéfice de l'entreprise (un crédit revolving ?), dont le montant n'est pas négligeable pour des travailleurs confrontés à la baisse du pouvoir d'achat, voire à l'endettement. Il ne s'agit pas d'un risque pris, pour l'avenir, de voir réduire la prime d'assiduité en cas d'absence, mais de l'impossibilité de faire grève sous peine de rembourser les 1000 euros prêtés sous condition. Puisqu'il est interdit de renoncer au droit de grève, ce contrat a un objet illicite et encourt la nullité pour trois raisons.
Tout d'abord, rappelons que selon la Constitution (article 7 du Préambule de 1946), seule la loi peut limiter l'exercice du droit de grève : ni le contrat, ni la convention collective, ni le règlement intérieur... ne peuvent interdire ou limiter l'exercice du droit de grève. Ensuite, dans l'hypothèse où le salarié signataire ferait grève et devrait rembourser l'avance, cela reviendrait à lui infliger une sanction disciplinaire pour cet arrêt de travail - ce qui est impossible, la grève ne pouvant constituer une faute, une sanction pécuniaire de surcroît - ce qui est prohibé (Article L. 122-42 du Code du travail).
Rappelons enfin que le Code du travail interdit de sanctionner un salarié en raison de l'exercice normal du droit de grève ; cet acte discriminatoire est nul de plein droit (article L. 122-45).Au-delà de l'illicite, le caractère manifestement déloyal du procédé choque : les droits, même les plus essentiels, s'achètent-ils tous ? Fort heureusement le juge veille et l'affaire n'est pas terminée.Après la « caisse d'entraide » antigrève de la Métallurgie, voici le contrat antigrève.