
L’écrivaine franco-sénégalaise Fatou Diome lance un poème à la mer. Une manière d’hommage à « Tous les Charlie qui refusent le silence résigné ».
Poids lourds vs Poids Plume
On la lève, la pèse, la soupèse,
C'est une danseuse,
Pour elle, point d'entrave.
On l'agrippe, on s'y accroche.
À bout de souffle, on s'y cramponne,
C'est une béquille.
On la caresse, on la tapote, on la mordille,
Quand l'estomac se met en vrille,
Elle seule nourrit.
On la dégaine, la pointe, elle scintille,
Canne le jour, torche la nuit,
Elle fend les ténèbres.
Elle tient dans une poche,
Mais elle sert de pont,
Minuscule, elle ouvre l'horizon.
Elle n'est pas un glaive,
Mais elle gagne des guerres,
Pour la liberté, elle reste rebelle.
Elle abat les murs de l'ignorance,
Donne voix aux innocents,
Agite le sommeil des tyrans.
Dangereuse ! Dangereuse ! À neutraliser !
Hurlent les despotes du monde,
Mais c'est quoi ? Cette maudite chose !
Ma danseuse,
Ma béquille,
Mon souffle.
Mais enfin ! C'est quoi ? Insistent les despotes.
Dis-le-nous,
Et tu auras le repos.
Fine et curieuse,
Fragile mais irréductible,
Elle sonde et écrit le monde.
Une plume !
Ha-ha-ha, bof ! s'esclaffent les despotes :
Une broutille !
Oui, mais parce que les mots fondent,
Forment et formulent le monde,
Laissez danser les plumes à travers le monde.
Pour les journalistes, écrivains, artistes,
Tous les Charlie qui refusent le silence résigné,
Une plume : pour écrire, réclamer, exiger, crier : Liberté !
Fatou Diome
Fatou Diome est de nationalité franco-sénégalaise. Elle arrive en France en 1994 et vit depuis à Strasbourg. Après des études de lettres à Strasbourg, elle a enseigné à l’université Marc BLOCH de Strasbourg et à l’Institut supérieur de pédagogie de Karlsruhe, en Allemagne. Elle est l'auteur de huit livres, dont un recueil de nouvelles La Préférence nationale (Présence Africaine, 2001) ainsi que de cinq romans : Le Ventre de l'Atlantique (Anne Carrière, 2003), et, aux éditions Flammarion, Kétala (2006), Inassouvies nos vies (2008) Celles qui attendent (2010) et Impossible de grandir (2013). Elle est cette année la marraine du Prix Louise Weiss de Littérature de l’Université de Strasbourg, organisé en collaboration avec EUROBABEL et Bibliothèques Idéales. En septembre dernier elle livrait à Arte un récit en cinq volets de son expérience dans un camp de réfugiés au Népal. Ce texte est en ligne ici.
PS : Fatou Diome était présente à la Marche citoyenne de Strasbourg le 11 janvier 2015. Sur la photo ci-dessous elle brandit sa carte d'électrice accrochée à un stylo.