Les lignes qui suivent montrent à quel point la grammaire peut être sérieuse et ennuyeuse: il est évident qu'elles ne s'adressent pas à des élèves, mais à des lecteurs pour éclairer les limites d'un exercice illustrant dans un choix d'exemples élémentaires les liens entre forme et sens: enme relisant j'ai trouvé plutôt inutile ce rappel d'analyse logique,.
Ie corpus gagne à être très simple; aussi les phrases se réduirnt à des propositions simples; la proposition simple est appelée traditionnellement proposition indépendante parce que elle ne dépend d'aucune autre et qu'aucune autre ne dépend d'elle: chacun se souvient-peut-être- qu'une proposition indépendante perd sa souveraineté absolue, affublée d'un subordonnant, pronom relatif ou conjonction, et la liste est longue, mais aussi, et je m'en tiendrai à ces seules difficultés, de ces deux fameuses propositions sans subordonnant, la participiale et l'infinitive, honorées pourtant du statut de propositions subordonnées quand leurs sujets sont différents de celui ou de ceux de la proposition qui d'indépendante devient alors proposition principale : des exemples sommaires pour éclairer ces deux derniers points: je les compose avec le verbe "jouer", dont on comprendra par la suite pourquoi il est au coeur de cette modeste contribution:
premier cas :la proposition indépendante demeure indépendante:" jouant trop souvent avec les mots, l'enseignant était devenu incompréhensible ": aucun doute : le sujet de "jouant" est le même que celui de "il était devenu" :"jouant " est un participe présent actif à valeur causale apposé au pronom personnel,"il",sujet du verbe "il était devenu".
deuxième cas:la proposition indépendante devient proposition principale:
"l'enseignant jouant trop souvent avec les mots, les élèves étaient désorientés": le participe présent a un sujet"l'enseignant", différent de celui du verbe "étaient désorientés: "les élèves":il équivaut à une proposition subordonnée de cause(=:"parce que l'enseignant jouait trop avec les mots"...).
Même fonctionnement: premier cas: la proposition demeure indépendante:" Pierre avoue jouer sur les mots"=même sujet à "reconnaît" et au verbe " jouer sur" à l'infinitif.
deuxième cas: la propoition indépendante devient proposition principale: "les amis voient mal Pierre jouer sur les mots": le sujet du verbe"voient":"amis" est différent de celui de "jouer":" Pierre".
Les connaissances requises pour comprendre les exemples qui vont suivre se limitent à des propositions indépendantes et nous en avons donc exclu des occurrences de participes ou d'infinitifs constituant des propositions subordonnées participiales ou infinitives.
les éléments de ces propositions se réduiront au sujet, au verbe(forme active, passive, pronominale), transitif direct ou indirect, intransitif; à l'objet, direct ou indirect; et le destinataire du sujet, à l'occasion.
L'intérêt (du jeu, allais-je dire) est d'attirer l'attention sur le sens par le choix d'un verbe dont la diversité et la richesse sémantiques reposent sur sa construction avec ou sans préposition, et avec un sens qui varie selon la. prépostion, mais qui peut aussi varier avec la même préposition.
On pourrait,une fois mis en évidence l'univers polysémique du verbe "jouer" proposer un exercice libre de son ou ses thèmes et de son registre, ressaisissant le plus d'occurrences possible du verbe "jouer" , sortes de "variations" sémantiques scripturalement composées.
Commençons par deux usages du verbe "jouer" empruntés à l'oeuvre la plus populaire de Victor Hugo :"les misérables", extraits de l'épisode célèbre où Jean Valjean profondément ému du sort de Cosette, cruellement traitée par ses hypocrites bourreaux, qui la privent évidemment de jouets, révolté aussi de voir les filles "de la maison" jouer avec leurs poupées au nez de Cosette, va lui acheter une magnifique poupée qu'ildépose entre ses mains: le lecteur est suspendu à la réaction de Cosette, se réjouit de la rage contenue de ses maîtres et la maîtresse , la Thénardière, brise le silence, et dit :" joue donc , Cosette!" et la réponse de Cosette est rapportée par le narrateur: "oh je joue!", "répondit l'enfant". "Jouer" est ici employé intransitivement, par la Thénardière et par Cosette elle-même, le complément implicite est sans ambiguîté dans la bouche de la Thénardière qui veut dire:"joue donc ,Cosette", avec ta poupée ou à la poupée; or si pour la Thénardière la poupée est un jouet, pour Cosette, c'est bien autre chose aussi, qui va au-delà de la possession d'un jouet et de sa liberté à en jouer; bouleversée par le "miracle" d'une attente enfin comblée, elle pourrait répondre:" ne me pressez-pas de jouer, laissez-moi, d'abord, savourer cet instant, m' habituer à mon bonheur qui n'est pas la poupée elle-même, si belle soit-elle, mais la découverte d'un geste humain que j'attendais depuis longtemps, que ' j' imaginais dans mes rêves, laissez-moi d'abord rêver sur ma poupée, avant qu'elle m'apprenne à jouer".
Imaginer l'émotion de Cosette revient à redire à quel point le sens peut être détourné sans être pour autant aboli, au bénéfice d'un langage qui n'a jamais été mieux défini que par Paul Valéry distinguant le langage poétique du langage prosaique en empruntant l'image de la danse pour le premier, de la marche pour le second:on aura compris que la Thénardière "marche" et que dans cette proposition exclamative à tonalité lyrique(on pense à Lamartine:"au commencement était le point d'exclamation" dit'il), Cosette, avec la complicité du narrateur, danse, et libre au lecteur de l'imaginer danser.
J'ai tenu à cet excursus littéraire pour célébrer le pouvoir que s'octroie la littérature de jouer avec le sens mais pas avec la grammaire dont Proust affirmait qu'elle était "poétique" . Suite et fin la prochaîne fois.