C’est au TLB (Tiers-Lieux de Bigorre) qu’il y « avait foule », lors de cette soirée malheureusement unique, pour découvrir le nouveau spectacle de Merilú (en tant qu’actrice), magnifiquement accompagnée par deux musiciens (Marc Marioleau au sax ténor et Nicolas Poirier aux percussions) qui ont su rendre poreuses les frontières du réel (lequel ?)
et de la « pensée sensorielle » (pourquoi vouloir séparer les deux aspects, déjà tellement pluriels) : superbe, généreux et engagé … et très applaudi !
Merilú avait déjà laissé une trace indélébile dans nos colonnes, pour son interprétation remarquée (et remarquable) de la pièce extraite de Nadja, d’André Breton, réécrite du point de vue de cette femme partir du travail de la romancière Hester Albach.
Ce soir, c’est un parcours enchanté tout différent qui l’a motivée à jouer le rôle de Yuna : une écriture en mots à deux ou trois mains, doublée d’une autre, musicale, par quatre autres mains (et pieds …) qui ne se contente pas du tout d’être illustration de la première : sur tous les plans sonores (et gestuel, moteur, visuel … ) c’est avant tout d’une mise en formes, d’un partage émotionnel – puissant – qu’il s’agit ;
mais pas que : relationnel, social, philosophique et sociétal, tous ces aspects de la différence vécue, sentie avec les tripes, mise en poésie (où les mots se goûtent davantage dans leurs saveurs) s’y mêlent et parfois s’emmêlent, s’enchevêtrent, (se) déchirent ou éclatent, subtilement dans leurs techniques conjointes, parfois jusqu’à la saturation des sens (perçue et retranscrite par Yuna elle-même et sa maman Mylène (avec la grande complicité d’Éric, le papa).
Mais l’eau à la bouche n’est pas encore le plat …
La poésie du texte, en tout premier lieu :
« J’aime toucher du bout des doigts des mots de sable.»
« Je m’appelle nuit et je vois le jour ! »
Intense et vibratoire, la vie dans toutes ses finesses, qui irrigue ce personnage énigmatique est révélée au « spect’acteur » en puissance.
L’objectif est déjà atteint : casser la glace, pour permettre de regarder derrière ce miroir des codes apparents en défaut d’immédiateté.
Car l’incompréhension, qui génère la gêne chez l’autre, du fait de la quasi-impossibilité qu’il ou elle puisse, dans la présente relation, réutiliser ses modes habituels de reconnaissance de soi, l’amènent parfois à se cacher – en frein protecteur de ses propres peurs – en posant des clichés :
« “Elle” entend quand je lui parle ? »
et ces mots-maux, par leur décalage et la monstruosité qu’ils ouvrent, provoquent des montées de colère, paroxystiques, en Yuna, du fait de son incapacité patente de réagir spontanément à l’agression : refus d’accueil et d’empathie trop souvent teinté de faiblesse dans la connaissance de soi, qui prend l’allure du mépris.
Et pour que le spectateur vive intimement ces immédiatetés angoissantes, de la plus grande injustice froide et distanciée, mais le plus souvent ignorées, ou passées à la trappe de la conscience, les deux musiciens ont mis en place un type de communication non-verbale, au pouvoir contagieux efficace : la mise en place de climax musicaux.
Merilú n’est pas en reste dans son registre d’actrice, utilisant la voix et la gestuelle pour incarner totalement son personnage.
Une magistrale séquence multi-formelle donc, où le théâtre, la diction (le rap, parfois ?), le chant allient leurs pouvoirs à ceux du sax et des percussions (traditionnelles, mais aussi inventives à souhaits) : loops, sons inversés, mixages et M.A.O (musique assistée par ordinateur), tout y est, finement agencé.
Et, rétablissant le lien entre la fiction du spectacle et la réalité, l’autrice,Yuna, monte sur scène à la toute fin, avec un courage plein et fort !
Un immense bravo !