Depuis dix ans, le télésuiveur des Tours du renouveau est d'humeur fort changeante : lyrique le matin au départ d'une grande étape de cols ; sceptique l'après-midi, à l'heure de "la grande bagarre", au pied de la dernière ascension, quand des coureurs la jambe légère s'en vont siffler là-haut sur la colline ; nihiliste le surlendemain, après le passage de la patrouille, quand les mêmes se fraient un passage à la sortie du bureau du procureur.
Depuis dix ans, c'est sûr, on abuse de la perspicacité du télésuiveur : son pronostic ne vaut plus tripette sans le soutien d'un sévère diagnostic. Et les vainqueurs du jour seront peut-être les délinquants du lendemain. Alors le télésuiveur se résout à la patience : le maillot jaune de Sastre ? Laissons-le encore quelques jours faire ses preuves au laboratoire...
Le cynisme prend la roue du télésuiveur : si le suspense chimique vient prolonger la "glorieuse incertitude du sport", pourquoi s'en plaindre ? tant que la force attend un relais de la vertu, c'est "double programme" pour tout le monde : d'abord la course, ensuite la traque. Il n'a pas échappé au télésuiveur qu'une nouvelle équipe s'était glissée dans le peloton cette année, l'AFLD. Un prix de la combativité pour l'ensemble de son oeuvre ? Mention spéciale en tout cas pour le contre imparable dont fut victime le déchu Ricco dans Aspin. Ricco... Le grand cru bouchonné du Tour 2008...
(Quand l'échappée a pris 10 minutes et que le peloton roulotte, le télésuiveur en profite pour se régaler d'entretiens de philospophe pédaleur : "Au cours des cent prochaines années, le sport restera double. D'abord la compétition mondiale, ensuite le dépistage des menteurs. De la sorte, nous aurons simultanément deux programmes à disposition." Peter Sloterdijk dans le Courrier International du 17 juillet.)
Faudra-t-il attendre qu'un coureur français monte sur le podium des Champs-Elysées pour célébrer l'avènement du Tour du renouveau et le triomphe des coureurs "propres" ? Le peloton français courra-t-il sous les couleurs chevaleresques de l'AFLD pour bouter les tricheurs hors de France ? Le télésuiveur malententionné s'interroge : la foule ne préfère-t-elle pas applaudir les "exploits" d'un nouveau Virenque " ... à l'insu de son plein gré" plutôt que les barouds d'honneur des combatifs du jours sans lendemain (Virenque, dernier Français sur le podium à Paris, 2e en 1997) ? A quand des frères Martin flinguant à tour de rôle dans l'Alpe ?
A la fin d'un Tour entrevu (les deux premières étapes bretonnes, les deux pyrénéennes, les montées du galibier et de l'alpe, le clm de saint-amand-montrond), alors que la plus belle étincelle (Ricco dans l'Aspin) a eu vite fait de nous laisser dans le noir, où en est-on avec le Tour ?
Derrière soi : le peloton et le feuilleton de l'année, ses faits de courses et divers, les nouveaux noms (Kohl, Kreuziger, Moinard...) et les anciens (Sastre, Zabel, Voigt, Hincapie...). Devant : l'échappée fabuleuse des heures mythiques (Delgado, Lemond, Chiapucchi, Indurain, Hampsten, Breukink et Bugno, ces trois-là dont Chapatte disait qu'ils avaient la classe mais qui décevaient toujours - où est la classe aujourd'hui ?-).
Entre les deux, la position du télésuiveur ? Le chasse-patate, évidemment.
