La Vie financière se meurt. Il y a urgence à agir. Dans quelques jours, elle ne sera sans doute plus. Soixante-trois ans d'existence partiront en fumée.
Cinquante mille sont abonnés en rase campagne sans même un petit mot d'adieu personnalisé, des lecteurs sont sans leur magazine financier, des interlocuteurs délaissés, une direction déboussolée, un actionnaire désormais absent, des salariés en déroute. Quel bilan ! Quel gâchis !
En effet, le conseil d'administration du journal s'est résigné à la requête de l'actionnaire majoritaire, Prado Finance, de demander une liquidation judiciaire au tribunal de commerce, de Paris, assortie d'une poursuite temporaire d'activité. Ce dernier rendra son jugement prochainement.
De cette mort quasi certaine, aucun mot ou presque, à part, ici et là, quelques articles dans les médias. De l'Elysée, Matignon, Bercy ou la rue de Valois, juste un petit signe d'intérêt, de l'Assemblée nationale ou le Sénat, rien du tout. Pas même un soupir. Ce silence est d'autant plus assourdissant que se tiennent en ce moment, à l'initiative du président de la République, les Etats généraux de la presse écrite.
Il appartient, notamment aux représentants de l'Etat, de garantir la pluralité de l'information et sa diversité. Il en va de la bonne santé de la démocratie française. Qu'en sera-t-il de cette presse financière et patrimoniale quand il n'y aura plus qu'un seul titre ? Peut-on imaginer qu'il n'y ait qu'un seul cabinet d'analyse financière pour apprécier, jauger, ausculter les entreprises qui font appel à l'épargne publique ?
Pourquoi La Vie financière en est-elle arrivée là ? Les raisons en sont multiples. Elles sont bien évidemment conjoncturelles mais aussi et surtout structurelles. L'histoire récente de La Vie financière n'a pas été des plus heureuses.
Tout d'abord cette décision ubuesque de la Commission européenne d'obliger Serge Dassault lors de son rachat, en 2004, aux héritiers Hersant, de la Socpresse -à laquelle appartenait à l'époque le groupe Express-Expansion dont La Vie financière était une marque- de céder le journal boursier. Et au prétexte d'éviter la concentration sur ce secteur de la presse patrimoniale, Serge Dassault étant par ailleurs propriétaire d'un journal au positionnement proche, Le Journal des Finances.
L'argument paraissait à tout le monde spécieux et superfétatoire car il y a quatre titres patrimoniaux sur un marché français somme toute assez étroit puisqu'il compte moins de 5 millions de petits porteurs en Bourse, donc de lecteurs potentiels. Néanmoins Serge Dassault a obtempéré, chargeant la direction du Groupe Express-Expansion de faire le travail.
Au terme d'une année de recherche difficile, elle a trouvé deux membres rescapés de la nouvelle économie, le Père-Noël.fr pour l'un et News Bourse pour l'autre, encore émerveillés par les mirages de cette époque éphémère : constituer rapidement un petit groupe de presse, l'introduire en Bourse, et empocher la mise après quelques années d'exploitation. Ses deux actionnaires principaux sont des expatriés fiscaux, l'un en Belgique, l'autre en Suisse.
Mais le rêve tourne vite au cauchemar. On crée un journal, on achète des sites Internet, on astique les chromes au mieux grâce à du beau papier glacé, espérant appâter quelques investisseurs gorgés de liquidités. On dépense sans compter. Le journal qui était une entité en redressement quand elle est sortie du Groupe Express-Expansion devient du jour au lendemain une société prospère, qui ne regarde pas à la dépense. La courte histoire (3 ans au total) fait apparaître une valorisation de l'action complètement hallucinante : l'action est passée de 1 euros, au moment de la constitution de la société, à 14 euros, puis à 17 euros, avant de voir sa valeur réduite à plus rien du tout aujourd'hui. Entre temps, les bons compagnons du début se brouillent, utilisant allègrement les instances prud'hommales pour résoudre leur contentieux, agissements coûteux pour l'entreprise qui y laisse au passage des milliers d'euros. Les PDG, les directeurs de la rédaction se sont alors succédés, avant que la crise des « subprimes » et que l'effondrement des marchés boursiers qui a suivi ne viennent terrasser ces amateurs d'argent facile. Le conseil d'administration du journal ne manquait pourtant pas de représentants, parmi eux du beau linge de la place financière de Paris, ostensiblement apprécié pour leur moralisme sourcilleux. Payés grassement pour ce travail fastidieux, ils n'ont pourtant rien vu, rien soupçonné !
Tout cela pourrait apparaître comme une mauvaise farce, s'il n'était pas question d'un journal historique, emblématique de la profession, bénéficiant d'une bonne image auprès des annonceurs, des lecteurs et de ses interlocuteurs habituels, entreprises et analystes financiers. Et que 65 salariés sont sur le point d'être licenciés.
A un moment où les pouvoirs publics se mobilisent fortement pour les banques, avançant des sommes considérables pour venir à leurs rescousses, il serait dommageable de ne pas faire la même chose pour la presse. Ce serait faillir que de les laisser tomber. Les sommes à mobiliser n'ont rien à voir avec celles avancées pour sauver le système bancaire. La Vie financière, redéfinie dans son périmètre, engagée dans une réduction de ses coûts, dotée d'une ligne éditoriale musclée, et d'une enveloppe de 4 à 5 millions d'euros peut repartir de l'avant. Ne laissons pas mourir ce journal. Ce serait un signe d'abandon, qui présagerait du gros temps pour bien d'autres titres.
Loïc Toussaint, journaliste à La Vie financière.