Les journalistes sont doublement concernés par la loi Création et Internet, dite loi Hadopi*. D’abord par la mise en cause du droit d’accès à Internet, comme tout citoyen, mais également par la modification de leurs droits d’auteur, totalement passée inaperçue.
Après les Etats généraux de la Presse écrite, la profession attendait une application des mesures préconisées, des négociations, un débat avant le vote d’un texte-cadre… Au lieu de cela, un saucissonnage organisé permet de faire passer discrètement certaines dispositions portant atteinte au statut des journalistes et contraires aux conclusions des Etats généraux.
Une atteinte à un droit fondamental
La loi Hadopi, véritable usine à gaz inspirée par les « majors » de l’audiovisuel, de la musique et du cinéma, ne générera probablement pas de droits d’auteur supplémentaires pour les artistes. Proposer des forfaits payants encadrant les téléchargements, comme cela se fait aux Etats-Unis, aurait sans doute été plus efficace et plus rémunérateur.
Quant au maintien de la « double peine » qui prévoit l'obligation pour les internautes sanctionnés de continuer à payer leur abonnement même une fois leur connexion suspendue, comment ne pas y voir l’influence des fournisseurs d’accès, inquiets d’une perte de recettes.
Mais la disposition la plus préoccupante se situe au niveau des libertés publiques, avec la possibilité de suspendre une connexion à Internet sans décision de justice. Un dangereux précédent qui suppose également la surveillance des connexions Internet des « suspects » de téléchargement, en dehors de toute autorisation d’un juge.
On peut espérer que ces dispositions de la loi Hadopi s’avèreront contestables sur un plan légal. Elles sont contradictoires avec l’amendement adopté par le Parlement européen le 6 mai dans le cadre du « Paquet telecom » et qui précise qu’ « aucune restriction ne peut être imposée à l'encontre des droits fondamentaux et des libertés des utilisateurs finaux, sans décision préalable des autorités judiciaires ». Ce qui signifie que seule une décision de justice peut restreindre l’accès à Internet, reconnu comme un droit fondamental.
En France, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), a profité de la publication de ses activités 2008 pour revenir sur le rapport qu’elle avait transmis au gouvernement concernant la loi Hadopi et qui a été volontairement mis de côté. La CNIL s’interroge en particulier sur le processus de « déjudiciarisation ».
Les droits d’auteur des journalistes mis à mal
Texte fourre-tout, la loi Hadopi réforme également les droits d’auteur des journalistes, très fluctuants sur Internet. En réponse aux associations de journalistes qui avaient exprimé leurs préoccupations auprès des parlementaires, il avait été promis que la loi reprendrait les recommandations des Etats généraux de la Presse, inspirées des propositions du « Livre Blanc » acté le 8 octobre 2007 entre les syndicats de journalistes et les éditeurs de presse.
Or, la loi Hadopi détourne totalement ces dispositions. Le principe du droit d’auteur est tout d’abord reconnu dans son article 10bis A, qui prévoit que l’exploitation de l’œuvre d’un journaliste hors de son titre de presse est subordonnée à son accord à titre individuel ou dans un accord collectif, et doit donner lieu à rémunération. Mais un peu plus loin, le sous-amendement présenté par le député UMP Christian Kert, et n’ayant fait l’objet d’aucune négociation préalable, permet de fait aux employeurs de ne pas verser cette rémunération et modifie fondamentalement le contrat de travail des journalistes.
Jusqu’à présent un journaliste devait être employé par un seul titre de presse, précisé dans son contrat. Le nouveau texte modifie le code du travail en spécifiant : « La collaboration entre une entreprise de presse et un journaliste professionnel porte sur l’ensemble des supports du titre de presse tel que défini au premier alinéa de l’article L. 132-35 du code de la propriété intellectuelle, sauf stipulation contraire dans le contrat de travail ou dans toute autre convention de collaboration ponctuelle. ». Cette modification va permettre de rédiger des contrats imposant de travailler sur l’ensemble des supports d’un groupe : papier, Internet, radio, télévision… Ce qui permettra la publication des œuvres d’un journaliste sur tous ces supports sans son accord et sans paiement de droits d’auteur. Pour les contrats de travail en cours d’exécution, l’employeur pourra imposer un avenant au journaliste précisant que sa collaboration sera désormais multi-supports. Que se passera-t-il pour le journaliste refusant cet avenant ? Quant aux journalistes pigistes qui n’ont pas de contrat de travail, on peut supposer qu’ils seront parmi les premiers touchés.
La profession, peu ou pas associée aux travaux des Etats généraux de la Presse écrite, s’était fortement mobilisée sur la reconnaissance juridique des équipes rédactionnelles, la déontologie, les droits d’auteurs, et surtout à propos des menaces que les concentrations faisaient peser sur le pluralisme. Au vu du Livre Vert des Etats généraux, remis le 8 janvier au gouvernement et des arbitrages annoncés par Nicolas Sarkozy, on avait pu croire que le pire avait été évité. Trompeuse illusion ! Cette remise en cause des droits d’auteur et du contrat de travail des journalistes appelle à une vigilance renouvelée, d’autant que le prochain épisode est la mise en place d’un code de déontologie à la demande de l’Elysée.
Sylviane Baudois, présidente de l’Association des Journalistes de Toulouse et de Midi-Pyrénées
* Hadopi : Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, chargée de mettre en place les sanctions concernant le téléchargement illégal..