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Billet de blog 15 juillet 2012

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Un avenir radieux

En ouvrant la porte du réfrigérateur elle se demanda pour la n-ième fois si un garde-manger à l'ancienne ne serait pas plus adapté. Tous ses voisins avaient fait ce choix, et fabriqué des étagères aux fins grillages protégeant des insectes, à défaut d'éviter le pourrissement.

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Illustration 1

En ouvrant la porte du réfrigérateur elle se demanda pour la n-ième fois si un garde-manger à l'ancienne ne serait pas plus adapté. Tous ses voisins avaient fait ce choix, et fabriqué des étagères aux fins grillages protégeant des insectes, à défaut d'éviter le pourrissement.

Mais elle, elle y tenait, à son vieux frigo, témoin d'une époque où chacun avait accès à l'électricité, laquelle était distribuée alors par les services de l’État, et pas seulement pour les riches. Quand elle débloquait la lourde porte il lui venait souvent, comme en souvenir, un parfum du bonheur d'avant. Alors elle remettait à plus tard le moment de se séparer de cet appareil encombrant et peu utile.

Mais la sensation de plaisir était généralement fugace : les pauvres aliments qui s'alignaient devant ses yeux n'avaient souvent rien pour égayer le cœur et la faisaient vite retomber sur terre. Les mêmes éternelles tomates sans goût, et dures comme des pommes, le maïs, que sa grand-mère, autrefois, donnait aux poules, le fromage et les œufs standardisés...

Ah, si seulement elle habitait à la campagne... Mais, depuis la mise en faillite de l’État, la perspective d'un isolement total par absence de transports en commun, associée à la certitude de ne plus jamais trouver d'emploi, l'avaient depuis longtemps convaincue que rester en ville était la seule solution.

Elle alluma le réchaud alimenté par une bouteille de gaz afin de faire cuire des pommes de terre dans de l'eau où elle mit aussi les œufs pour économiser l'énergie.

« Maman, on mange quoi ? » Les yeux bleus de son fils, surmontés d'une frange rousse, observaient la casserole avec intérêt.

«Œufs à la coque, et vraie purée ! »

« Berk ! Pourquoi pas de la purée Poter en sachet, c'est tellement mieux ? »

Elle prit une mine faussement dépitée :

« Fils, tu me déçois beaucoup : tu sais que les produits lyophilisés ne sont pas sains pour la santé. Mais surtout, ton père et moi, nous t'avons déjà expliqué que, si tu as envie d'en manger, ce n'est pas parce qu'ils sont meilleurs, mais parce que tu es conditionné par la publicité. Sans compter les additifs qui tendent à nous rendre dépendants... ».

Le regard bleu de l'enfant se fit beaucoup moins gai : on aurait même pu même y déceler un éclair glacial. Il avait juste dix ans, mais l'école avait fait du bon boulot :

« En fait, Maman, à cause de tes théories d'autrefois, tu veux nous empoisonner en nous faisant manger des choses dégoûtantes, même pas testées... ».

La colère s'empara d'elle, colère qu'elle tenta de canaliser pour expliquer encore à son fils le poids des lobbies industrialo-financiers sur leurs vies depuis que ceux-ci avaient racheté tous les services publics et qu'ils contrôlaient la législation par le biais de normes calibrées à leur avantage.

Mais la fermeture du visage de son rejeton l’arrêta net dans son élan et déclencha un signal de danger. Elle opéra un virage à 180 degré :

« Ne t'inquiète pas mon chéri, dès que ce sera possible, on ira au supermarché acheter ce que tu aimes... Allez, en attendant que ce soit cuit, va jouer sur ta console Poter... ».

Un peu plus tard, quand son mari rentra, elle posa un doigt sur sa bouche, et l'emmena sans mot dire dans la salle de bains. Une fois la porte fermée, elle éclata en sanglots...

« C'est fait, comme chez les Vayres et les Dubois... »

« Tu ne veux pas dire que Timothée ?... »

« Si, si, c'est fait. Deux ans d'école Poter et nous sommes devenus des ennemis qui voulons l'empoisonner avec des produits naturels ! »

Son mari tenta de se battre contre cette idée qu'il refusait :

« Mais on lui a tout expliqué, depuis toujours ! Tu dois dramatiser...  »

« Non, hélas, je ne dramatise pas : il y a déjà eu des signes, et tu le sais comme moi... On a déjà parlé de sa capacité à faire comme si lui savait tout sur tout, et que nous étions des ignorants... Tu te souviens de ce qu'ont raconté les Dubois à propos de leur fils ? Quant aux explications, je crois que cela ne change rien : au contraire, ils ont dû réussir à le convaincre que nous étions de dangereux fanatiques qui mettaient sa vie en danger... »

« Mais qu'est-ce qu'on peut faire ? »

Elle prit, à son tour, un regard froid.

« Rien, rien du tout... Parce que, sinon, il pourrait en parler, et cela pourrait avoir des conséquences. Car je te rappelle que tu travailles, comme presque tout le monde, chez Poter... Et en contrat renouvelable...».

cf : http://blogs.mediapart.fr/blog/la-vraie-gavroche/140712/la-biodiversite-sacrifiee-sur-lautel-du-liberalisme

      le billet de Corinne N sur le même thème : http://blogs.mediapart.fr/edition/vert-tige/article/140712/alerte-la-cour-de-justice-de-lunion-europeenne-desavoue-kokope

      et : http://blogs.mediapart.fr/blog/gabriel-colletis/010312/la-grece-peut-elle-disparaitre

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