Le débat de fin de vie cristallise bien des préjugés malveillants voire mensonges délibérés à l'égard de nos voisins européens qui ont choisi de légiférer sur l'euthanasie et/ou le suicide assisté, pour empêcher la France d'accéder à cette législation. Voici une lettre adressée à tous les sénateurs et tous les députés en ce début d'année par Claudette Pierret, avec son plein accord et sa vérification avant publication, qui donne son point de vue : un témoignage et une argumentation particulièrement pertinentes sur ce qu'elle a pu constater au cours d'une douzaine d'années apportées à faciliter les démarches de fin de vie avec euthanasie en Belgique et suicide assisté en Suisse dans la stricte légalité des pays concernés.
« Je me permets d'attirer votre attention sur ce courriel ci-dessous que j'ai pris le temps de rédiger à votre attention parce que le sujet traité mérite toute votre réflexion et des explications nettes et précises.
J'espère que vous aurez à coeur de prendre un peu de votre temps pour le lire car vous aussi, vous serez un jour ou l'autre concerné par ce sujet, tout comme le fut votre Collègue Paulette Guinchard en un temps où elle n'était pas encore confrontée au problème pour elle-même. Malheureusement pour elle, la suite a prouvé que sa position lors du vote de la loi Léonetti, en 2005, n'était pas la bonne.
Je vous en remercie par avance.
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Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Mes meilleurs voeux pour 2023 vous parviendront un peu tardivement parce que mes débuts d'année, depuis 12 ans, sont consacrés, non seulement aux demandes des malades qui me parviennent en nombre toujours plus important, mais aussi aux remerciements par courriel et par téléphone des voeux que je reçois des malades eux-mêmes et qui ont ouvert un dossier en Belgique ou en Suisse, ou des familles de malades que j'ai pu accompagner dans cette démarche.
Lire le reportage de l'Est Républicain (publié également sur Le Républicain Lorrain et sur Vosges Matin) avec le témoignage de Delphine, une malade de 38 ans atteinte d'une Sclérose en Plaque
Qui êtes-vous Claudette PIERRET ?
Pour ceux qui n'étaient pas élus lors du mandat précédent, je me présente : Claudette Pierret, j'habite à 7 km de la Belgique et du Luxembourg, deux pays qui ont dépénalisé le droit à l'euthanasie depuis 21 ans pour le premier (2002) et 14 ans pour le 2ème (2009).
Vous l'aurez compris, c'est d'aide médicale à mourir dont je viens vous entretenir parce que les Français ne veulent plus mourir comme ils meurent actuellement en France : Seuls, les malades qui en ont les moyens financiers peuvent se payer l'exil vers la Belgique et vers la Suisse, cette inégalité entre tous ne peut plus durer !
C'est une succession de hasards qui m'a amenée à aider des malades français à s'exiler en Belgique et en Suisse afin que leur choix de mourir soit respecté, dès lors que la vie leur était devenue insupportable de par les souffrances qu'ils enduraient.
A noter que l'euthanasie n'est acceptée que lorsqu'elle entre dans le cadre strict des lois de ces pays. Trois conditions essentielles :
1°) Demande du malade lui-même
2°) Maladie grave et incurable
3°) souffrances physiques et/ou psychiques inapaisables.
Par la force des choses, je suis devenue en quelque sorte la secrétaire bénévole du Dr Yves de Locht dont vous entendrez l'interview dans l'entretien qu'il a accordé jeudi dernier, le 26 janvier, à Marie-Elisabeth Lemoine sur FR5 dans l'émission "C à vous". (à 24mn 24s)
On meurt mal en France
En France, tous les sondages qui se succèdent montrent que plus de 90 % des Français sont pour un changement de la loi actuelle. Ce n'est pas un hasard et cela rejoint ce que les médecins belges et moi-même constatons tous les jours : On meurt mal en France ! Il faut remplacer la loi Claeys-Léonetti par une loi plus juste et plus humaine, une loi qui reprendra les dispositions essentielles de la loi belge qui a fait ses preuves depuis tant d'années !
Une convention citoyenne a été mise en place, certes, et ses 185 personnes qui ont été tirées au sort doivent donner leur avis sur ce sujet crucial. Soit ! Mais 185 personnes, est-ce bien représentatif de ce que pensent ces plus de 90 % de Français qui s'expriment directement dans les sondages ? Je n'en suis pas certaine...
J'ai écouté attentivement le débat qui a eu lieu entre Claire Fourcade qui est Présidente de l'AFAP, évidemment une militante active des soins palliatifs et de Jonathan Denis qui est le Président de l'ADMD, association qui défend le Droit de Mourir dans la Dignité.
Certes, Claire Fourcade est médecin dans une de ces unités qui est certainement exemplaire, mais malheureusement, ce n'est pas la même chose partout en France.
De nombreuses régions n'ont aucune structure pour accueillir les malades qui voudraient y aller donc, je suis d'accord avec elle sur le fait qu'il faut qu'elles se développent en France, MAIS, et c'est à partir de là que je ne suis plus d'accord avec elle, le passage par ces unités ne doit pas être une obligation pour qui ne veut pas subir cette dernière phase à la fin de sa vie.
Je me bats pour le choix
Je ne me bats pas pour que tous les malades soient aidés à mourir et euthanasiés, je me bats pour qu'ils aient le CHOIX,
- Celui de demander à mourir dans une unité telle que celle décrite ci-dessus,
- Celui de demander à ce que la mort survienne naturellement sans aucun intervention humaine si tel est la volonté du malade,
- MAIS aussi, le plus important à mes yeux, celui d'être entendu dans sa demande d'aide à mourir assistée par un médecin.
D'ailleurs, à ce sujet, 72 % des médecins consultés se sont dits prêts à aider leurs patients s'ils étaient protégés par la loi, c'est donc une immense majorité.
Il faut bien sûr laisser la clause de conscience aux 28 % d'entre-eux qui ne voudraient pas pratiquer cet acte mais il faut aussi que les 72 % restants puissent le pratiquer sans risquer de se retrouver devant une Cour d'Assises.
La loi belge a fait ses preuves
La loi belge a fait ses preuves, les Belges ne demandent pas tous à mourir par euthanasie et ils ne quittent pas non plus la Belgique pour venir mourir chez nous ! Ce sont les malades Français qui se bousculent à la frontière pour aller mourir en Belgique, jamais l'inverse !
Je vais m'adresser à Claire Fourcade qui se demandait lors de son audition devant les membres de la Convention, pourquoi les médecins belges participaient à des débats en France. La raison est bien simple à comprendre : c'est parce que ce sont eux qui font le "sale boulot" que la loi française interdit de faire aux médecins Français !
Et quand je parle de "sale boulot" c'est parce que ce n'est jamais chose facile que d'aider quelqu'un à mourir, c'est plus facile d'attendre que la mort survienne "naturellement" (mais avec une sédation quand même parfois, sédation que l'on a volontairement qualifiée de "profonde et continue jusqu'au décès" pour ne pas dire "terminale") pour que l'opposant puisse se conforter lui-même dans l'idée qu'on n'a pas aidé le malade à mourir. ça soulage peut-être sa conscience, pas les souffrances du malade !
A noter que la mise en œuvre d'une "sédation terminale" dépend toujours de la bonne volonté - ou pas - du médecin en charge du malade et qu'il est le seul à décider, en dernier ressort de dire s'il entre - ou pas - dans un acharnement thérapeutique. (J'ai vécu personnellement ce cas lors de la fin de vie de mon père filmée par les caméras de M6 en 2013).
Quand j'entends tous les mensonges et toutes les bêtises qui peuvent être dites inconsciemment peut-être, mais avec mauvaise intention souvent... je me dis que les praticiens belges ont bien raison de venir rectifier ces propos mensongers dans les médias français, car non, en Belgique, on n'euthanasie pas tous les vieux, pas plus que tous les enfants autistes ! (Propos tenus par l'évêque Mgr Aupetit).
Je suis d'accord avec l'abbé belge Gabriel RINGLET qui accompagne des malades dans des euthanasies en Belgique et qui dit :
"Que l'on choisisse la sédation ou l'euthanasie, dans les deux cas, on décide sciemment de mettre fin volontairement à la vie de quelqu'un"
Euthanasie et suicide assisté
Je suis pour la dépénalisation de l'euthanasie plutôt que pour le suicide assisté parce que, dans ce dernier cas, il faut que le malade ait encore la capacité de pouvoir se suicider tout seul et ce n'est plus le cas de tous les grands tétraplégiques.
- Une bonne loi ne peut se permettre de faire une distinction entre des malades atteints de pathologies graves et incurables et de laisser de côté ceux qui ne seront plus en capacité de se donner la mort eux-mêmes, donc souvent, ceux qui en ont le plus besoin.
- Il ne faut pas non plus que la loi stipule qu'il faut que le malade soit en stade avancé ou en stade terminal pour pouvoir être aidé, il faut qu'il puisse décider lui-même de ses limites et de ce qu'il peut encore supporter - ou pas -.
La loi belge s'améliore au fil des années et des cas qui se présentent. Il faut tout simplement que la nouvelle loi qui sera votée reprenne toutes ces mêmes dispositions si on veut qu'elle réponde à la demande des malades.
Nous, les Français, nous n'aimons pas copier les autres mais c'est mieux de les copier que de faire plus mal tout seuls !
Ce sujet de l'aide médicale à mourir étant un sujet qui nous concernera tous un jour, j'espère que vous aurez poursuivi la lecture du mail que j'ai pris la peine de vous envoyer pour vous éclairer sur la réalité de ce qui se passe réellement dans un pays qui est tellement décrié par les opposants français qui ne savent pas souvent bien de quoi ils parlent. Je suis désolée de devoir dire cela mais moi qui pratique la loi belge tous les jours, je peux témoigner que c'est une bonne loi et que toutes les dérives annoncées sont souvent le fruit de l'imagination, ou de la mauvaise foi des opposants...
Je vous renouvelle tous mes meilleurs voeux pour 2023 et espère en une nouvelle loi qui devient incontournable dans notre pays.
Claudette Pierret »