Billet de blog 20 nov. 2015

geneviève Baas
Abonné·e de Mediapart

Liberté vs contrôle: et si on écoutait les douloureuses expériences des jeunes en la matière?

geneviève Baas
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jeudi matin, le Forum , dans un de ses labs, a donné la parole  à deux jeunes, dont les expériences en matière de liberté et de contrôle sont étonnantes. L’un a connu le camp de Guantanamo, l’autre a migré, malgré lui , vers l’Europe puis la France. Leurs récits, faits avec une grande maîtrise, très sereinement et sans haine, font froid dans le dos.

Le premier, Mourad Benchellali, est un jeune Français de 35 ans aujourd’hui, originaire du quartier des Minguettes à Lyon, l’autre est un jeune Guinéen d'un peu plus de 20 ans, Thierno Diallo.

Ecoutons leurs expériences respectives, et commençons par Mourad: Ce Français d’origine algérienne a  grandi dans un quartier de Lyon dans une famille musulmane très pratiquante ; son père est imam. Lui-même, dans son enfance et son adolescence, ne se sent pas très attiré par la religion, à l’inverse de son grand frère. Celui-ci, en 2001, se trouve en Afghanistan et encourage son jeune frère à l’y retrouver. Mais Mourad , alors âgé de 20 ans, est partagé, il n’est pas religieux, ne se sent pas concerné par le djihad, mais il n’est jamais sorti de son quartier et une aventure à l’étranger a quelque chose de tentant. Devant l’insistance de son grand frère, il cède et part en Afghanistan, où il pense passer quelques semaines de vacances, c’est l’été 2001. Mais à son arrivée, tout bascule, on l’envoie dans un camp d’entrainement, avec d’autres jeunes de différents pays, dans la région de Kandahar; le camp dépend d’Al- qaïda et doit les préparer au djihad . L’entrainement est très dur, physiquement et moralement, apprentissage des armes, comme le maniement d’explosifs, et endoctrinement intensif. Le camp dure 60 jours, au cours desquels il croise Oussama Ben Laden, venu les congratuler et leur annoncer qu’un attentat est imminent aux Etats-Unis. Quelques jours plus tard, alors qu’il vient de sortir du camp, l’attentat du 11 septembre est perpétré. Dès lors, pour Mourad, la descente aux enfers commence.Il veut rentrer en France mais la frontière avec le Pakistan est fermée. Par les montagnes afghanes, il rejoint le Pakistan, mais est dénoncé par des villageois qui le livrent aux militaires. Il est emprisonné, menotté, ligoté, torturé, pendant 3 semaines. La CIA s’intéresse à lui, mais il pense que les Américains vont le libérer- les Etats-Unis sont un pays démocratique! - mais non, il est expédié à Guantanamo où il va passer 2 ans et demi, vêtu de la tenue orange, emprisonné dans une cage, interrogé, torturé. Puis il est libéré, rentre en France, où l’attend une autre police, à nouveau mis en examen, il est emprisonné pendant plus d’un an, puis libéré. Entre temps, ses parents ont été expulsés de France et renvoyés en Algérie.

  Mais que faire de cette liberté? Il constate qu’en prison les jeunes sont tentés de se radicaliser, mais il ne suit pas cette voie. Et pourtant, même s’il est libre, il est fiché, il reste sous contrôle, ne serait-ce que pour voyager; par exemple, interdiction de survoler le territoire américain, alors qu’aucune charge n’a été retenue contre lui. Alors il décide de témoigner, dans un livre « Voyage vers l’enfer », épuisé aujourd’hui , et dans des témoignages: il va à la rencontre des jeunes pour les mettre en garde contre la tentation du djihad et la radicalisation; il le fait avec obstination, il n’a pas de haine, mais un sentiment d’avoir en grande partie gâcher sa vie. Maintenant il veut aller de l’avant , oeuvrer en faveur de la paix et en portant son témoignage partout où cela est possible.

La deuxième expérience est celle de Thierno: Thierno est un jeune Guinéen. En 2009, à 15 ans, il participe avec sa mère  à une manifestation contre la dictature dans son pays. Mais cette manifestation, qui se déroule dans un stade à Conakry, est interrompue par les militaires qui entourent le stade et tirent sur les manifestants, faisant de nombreux morts. Dans la panique, il perd sa mère et se retrouve seul; il est arrêté, emprisonné dans un camp militaire. Grâce à un militaire, de la même ethnie que lui, il s’évade et est accueilli quelques jours chez ce militaire,mais celui-ci prend peur et le convainc de prendre un bateau pour rejoindre l’Europe. Ce n’était pas dans ses projets, surtout qu’il est sans nouvelle de sa mère. Mais il n’a pas le choix, sinon, c’est retour à la case prison. Bien sûr les conditions de voyage ne sont pas celles qu’on lui avait indiquées, le bateau confortable est un cargo, et les passeurs se font menaçants. Migrant malgré lui, il arrive en Europe au bout de 3 semaines, d’abord en Grèce, où il est enfermé dans un centre de détention d’où il s’évade; il se procure des faux papiers , traverse les pays et arrive à Paris puis à Strasbourg. Là il a la chance de rencontrer des personnes qui lui vont lui procurer un foyer, il peut suivre une scolarité, retrouve goût à la vie. Il fait des démarches pour être régularisé, mais jusqu'ici sa carte de régularisation, comme exilé politique, ne lui est accordée qu’année après année, il doit sans cesse faire des démarches dont il ne voit pas le bout.

Mais il est reconnaissant aux Français qui lui ont permis de retrouver un foyer, d’aller à l’école, de se faire soigner. Tout n’est pas résolu, il fait beaucoup de cauchemars , il n’a toujours aucune nouvelle de sa mère. Pendant toutes ces années en France, il s’est sauvé par l’écriture, il a écrit son histoire, jour après jour, dans des cahiers, et en a fait un livre qui  vient d’être publié: « Moi, migrant clandestin », où il montre que l’intégration est possible, à condition de rencontrer les bonnes personnes.

Ces deux témoignages rentrent bien dans la thématique du Forum de cette année, dans cette question si criante les derniers jours: faut-il plus de liberté, plus de contrôle? Pour nos 2 témoins, la balance pencherait plutôt vers moins de contrôle, moins d’emprisonnement, qui, souvent, sont la porte ouverte à la radicalisation.On ne sort pas indemne de ces récits qui montre combien la balance entre sécurité et liberté est difficile . On est content et étonné de voir comment, après de telles épreuves, il est possible de se relever. Mais, pour deux succès,combien d’échec dans nos tentatives d’intégration? L’Union Européenne et nous, les Européens ont beaucoup de chemin à faire.

Geneviève Baas

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte