Un intéressant débat sur le droit à l’information en Syrie s’est déroulé ce matin, dans le cadre du forum « off » et à l’initiative de « reporters sans frontières », débat animé par Soazig Dollet. Celle-ci a rappelé, en introduction, que depuis le début du soulèvement, plus de 100 000 personnes sont mortes, dont des journalistes syriens ou étrangers. Aujourd’hui, les journalistes ont de plus en plus de mal à travailler en Syrie et pourtant le droit à l’information reste essentiel.
C’est Marco Nassivera, directeur de l’information d’Arte -France, qui a ouvert le débat : il rappelle qu’au début du conflit, en mars 2011, de nombreux journalistes de tous médias se sont rendus en Syrie et ont pu faire leur travail. Mais, au fil des mois, surtout depuis mi-2012, cette situation a évolué et se trouve aujourd’hui dans une impasse. Les journalistes étrangers ne peuvent quasiment plus entrer légalement sur le territoire syrien, s’ils y parviennent c’est en prenant d’énormes risques, dont celui d’être pris en otages, comme c’est le cas de actuellement de 4 reporters français. Dès lors, comment informer sans être soi-même sur place ? comment avoir des images ?. certes, on peut tenter de passer par les réseaux syriens, mais, que ce soit du côté du pouvoir ou de celui des insurgés, ils sont infiltrés par une propagande qui déforme la réalité. Or, sans image, les chaînes d’info se désintéressent du sujet et c’est dramatique pour le pays.
Omar Al Asaad, journaliste indépendant en Syrie, poursuit ; il parle en arabe et Soazig Dollet traduit simultanément : à son tour il évoque les énormes difficultés que rencontrent les journalistes syriens et les autres pour faire leur métier. Lui aussi rappelle que, au début des événements, le peuple voulait la démocratie, il la réclamait pacifiquement, sans violence, mais il s’est vite heurté à l’extrême violence du pouvoir. Certains journalistes ont été arrêtés -c’est son cas- d’autres ont disparu. Au début, les journalistes syriens travaillaient avec les médias étrangers, sans problème, mais quand le climat s’est dégradé, quand de part et d’autre la violence s’est installée, cela n’a plus été possible, parce que trop dangereux. Malgré tout, il y a eu une liberté de la presse inconnue jusque là : de nombreux journaux ont vu le jour, parfois grâce à de petites communautés de quartier ou de village, du nord au sud du pays, des radios aussi ; les réseaux sociaux, comme you-tube, twitter et autres, ont fonctionné et transmis des infos, cependant pas toujours vérifiables. Ce sont parfois les seules infos dont disposent les journalistes étrangers.
Pour Boualem Sansal, écrivain algérien, la situation en Syrie a des similitudes avec celle qu’a connu l’Algérie lors du soulèvement de 1988. Là aussi, de nombreux journaux sont nés, de nombreux partis politiques, qui pour lui sont autant de signes de brouillage d’une véritable démocratie . Selon lui, partis et médias étaient en fait infiltrés par les services secrets algériens , peu d’entre eux étaient réellement indépendants. Certes c’était mieux qu’avec le seul « Moudjahidjine », surnommé « pravda » et dont, d’après lui, la seule info exacte était la date du jour !! La situation, en Algérie, reste confuse pour l’information…et pour la démocratie aussi sans doute, quelques mois avant de nouvelles élections.
S’en suivent un vif échange de questions, qui permettent d’éclaircir certains points : la première est plutôt une réponse d’une citoyenne syrienne qui ne cache pas son pessimisme sur l’avenir de son pays. A propos d’une question sur la presse anglaise qui aurait plus d’information, il est répondu qu’en fait il est devenu quasiment impossible d’entrer en Syrie, même illégalement ; toutes les entrées traditionnelles, le Liban ou la Jordanie par exemple, sont fermées. De plus, si par hasard un journaliste arrive à entrer, outre les risques évoqués plus haut, il n’aura jamais d’info des 2 camps, mais seulement d’un seul, il ne pourra vérifier ses infos et couvrir tous les aspects ; c’est une réalité multiple de plus en plus insaisissable. Est-il exact que des djihadistes et salafistes aient été libérés ? oui, Omar Asaad en a été le témoin : il confirme ces libérations, voulues par le pouvoir. Sans doute doit-on trouver là l’explication de ce glissement d’un soulèvement d’abord pro-démocratique et pacifiste, en un mouvement à tendance confessionnelle, de plus en plus violent, avec l’arrivée de partisans étrangers, et l’aide de prisonniers de droit commun également libérés par le régime, qui se battent pour le pouvoir en place . Tout ceci rend la situation actuelle chaotique et quasi illisible. Une chose est sûre : les journalistes syriens partent à l’étranger, beaucoup sont en Turquie. De quoi ont-ils besoin, demande une représentante du « fond européen pour la démocratie » : de tout ou presque! de matériel, mais aussi de formation.
En conclusion du débat, Soazig Dollet rappelle le rôle de « reporters sans frontières », notamment pour la Syrie : actuellement ils aident surtout les journalistes exilés en Turquie et les forment à l’utilisation des outils médiatiques et à la rédaction, ils soutiennent également une radio libre syrienne à Paris » Rosana ».
On ressort de ce débat mieux informés sur les difficultés de l’information en Syrie ; mais on comprend qu’il est devenu quasi impossible de bien informer en et sur la Syrie, malgré les bonnes volontés déployées. On se prend alors de sympathie pour tous ces journalistes, anciens ou apprentis qui rêvent pour leur pays de jours meilleurs. Mais ceux- là ne semblent, hélas, pas sur le point d’arriver.
Geneviève Baas