Selon Mireille Fanon-Mendès France, présidente de la fondation Frantz Fanon et fille de l'auteur des Damnés de la terre, «la pensée de Fanon, par sa mondialité, continue d'inspirer ceux qui combattent pour le progrès de l'homme partout sur la planète».
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Frantz Fanon fut, avant tout, le militant d'un combat universel de libération et de désaliénation des hommes et des peuples. En cela, il est un homme indivisible qui ne saurait être réduit à une dimension particulière des luttes; il a été antiraciste au nom de l'universalité et anticolonialiste au nom de la justice et des libertés. Il est de notre responsabilité de garder son approche universaliste au risque de l'enfermer, ce qu'il a toujours refusé. Rappelons-nous les dernières phrases de Peau noire et masque blanc: «moi, l'homme de couleur, je ne veux qu'une chose, que jamais l'instrument ne domine l'homme. Que cesse à jamais l'asservissement de l'homme par l'homme. C'est-à-dire de moi par un autre. Qu'il me soit permis de découvrir et de vouloir l'homme où qu'il se trouve».
Il fut à la fois psychiatre, moudjahid algérien, révolutionnaire pan-africain, ambassadeur itinérant et combattant de l'émancipation de tous, y compris de ceux qui croyaient appartenir au monde dominant.
On n'insistera jamais assez sur l'universalité de la pensée de Fanon, qui s'est nourrie d'une expérience irremplaçable de la souffrance, de la résistance et de la lutte.
Lire ou relire Fanon aujourd'hui, au-delà des études sociologiques et postcoloniales, c'est aussi admettre, 50 ans après sa mort, que son analyse sur les pathologies sociales et politiques du racisme dépasse largement le contexte dans lequel elle a été élaborée: elle est d'une étonnante actualité, particulièrement pour tous les Africains et les Arabes contre lesquels s'expriment, aussi bien dans les media que dans les propos des élites de certains Etats, un racisme décomplexé et qui sont directement visés par des lois xénophobes.
C'est aussi constater que son analyse lucide sur les dérives susceptibles d'affecter les États postcoloniaux était étonnamment prémonitoire. Il y décrit, avec des années d'avance, la pathologie néocoloniale, cette perpétuation de la domination par la soumission de gouvernements nationaux corrompus et antipopulaires aux intérêts des anciennes métropoles coloniales.
Fanon, cet insoumis, ce rebelle, a lutté tenacement et sans faille contre la domination exercée par les puissants sur les faibles, et nous éclaire aujourd'hui, devant un système social, politique et économique qui plonge le monde dans le désordre, sur l'articulation fondamentale entre le droit à la rébellion et une colonisation d'un nouveau type où à la violence coloniale a succédé une violence indirecte et cynique portée par la mondialisation, ainsi l'ordre colonial a fini par contaminer le territoire des colonisateurs.
En Afrique, en Europe, en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique, Fanon apparaît aujourd'hui comme plus actuel que jamais. Il fait sens pour tous les militants de la liberté et des droits humains, l'émancipation est toujours l'objectif premier des générations qui arrivent à l'âge de la maturité politique.
La pensée de Fanon, par sa mondialité, continue d'inspirer ceux qui combattent pour le progrès de l'homme partout sur la planète.
Dans un monde où le système de l'oppression, de l'écrasement de l'humain ne cesse de se renouveler et de s'adapter et face à ce qui, par tous les moyens, cherche à détruire l'homme, elle est un antidote contre le renoncement et une arme d'une passion lucide pour le combat incessant pour la liberté, la justice et la dignité des femmes et des hommes. La libération des peuples et des individus de l'asservissement et de l'aliénation reste un objectif.
50 ans après sa mort, la résistance continue et Fanon nous exhorte toujours à ne pas abandonner.
Ce texte a été lu à l'ouverture de la soirée «Frantz Fanon, au présent» organisée par Mediapart au théâtre national de Chaillot le 28 novembre 2011.