Billet de blog 1 octobre 2019

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Clotilde Fougeray

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Les mots qui piègent: théorie du complot.

Camus l'a dit, «Mal nommer un objet c'est ajouter au malheur de ce monde». Essayons alors de bien nommer nos objets.

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Les mots qui piègent est une série pointant un usage de termes et d'expressions qui masquent ce qui est censément dévoilé.


L'article «“La théorie du complot pour les nuls” - 3 questions à Michel Musolino» est très pertinent, sauf sur un point: l'usage de l'expression “théorie du complot”, qui pose plusieurs problèmes:

  1. Dans son usage courant, “théorie” est associé à “science” ou à “philosophie” et même si utilisé péjorativement conserve sa marque positive “raison”, “réflexion”, “procédure sérieuse”. Pour une personne qui comprend ce qu'elle lit en un sens immédiat ordinaire, ça donne de la validité à ce qui est “de la théorie”, donc de la validité à une supposée “théorie du complot”, renforçant paradoxalement ce lieu commun à la base de ce qui est pointé, «Il n'y a pas de fumée sans feu».
  2. Nommer de ce nom ce qu'on étudie a un autre effet paradoxal, empêcher de nommer «théorie du complot» ou «théorie du complotisme» la seule réelle théorie du complot possible, celle découlant de l'étude des mécanismes à l'œuvre pour la constitution de ces processus qu'on peut nommer avec moins d'inexactitude “complotisme”. Si on demande à un “théoricien du complot” comme Michel Musolino de qualifier son travail, il s'interdit de le décrire en quatre mots assez exacts: une théorie du complotisme.
  3. Comme le dit Michel Musolino dans le billet, «Voir des complots partout est stupide, n’en voir nulle part n’est pas prudent». Or, déterminer un objet global “théorie du complot” pour des phénomènes sociaux non recouvrables: le “complotiste” qui invente et propage des rumeurs dénonçant un supposé complot n'a rien à voir avec le “complotiste” qui les reçoit et les accepte, les nommer du même nom reviendrait à nommer indifféremment “auteur” ou “rédacteur” celui qui écrit et celui qui lit, et en outre le mot empêche de clairement différencier le propagandiste “complotiste” et le participant d'un complot réel ou “comploteur”. Parfois mais non toujours les “complotistes” propagandistes sont aussi des “comploteurs”, et cette indifférenciation de ces trois cas dans un même objet “théorie du complot” est une arme donnée aux complotistes propagandistes au service de comploteurs pour précisément “ne voir nulle part” de complots;
  4. Le mot “complot” est en soi problématique parce que sauf rare cas, “les complots ça n'existe pas”, manière de dire: les personnes qui participent à ce qu'on peut décrire comme “un complot” n'ont pas, comme le spécifie le dictionnaire Trésor de la langue française dans sa définition une «intention de nuire», et assez souvent ce n'est pas une «dessein secret». Pour prendre un cas de complot avéré, l'Opération Condor, les nuisances (assassinats, arrestations arbitraires, tortures, etc.) ne sont pas une intention, une «action de tendre vers un objet, une fin», mais un “mauvais moyen” pour une “bonne fin”, les initiateurs de l'Opération Condor ont une “bonne fin”, quelque chose comme «la défense du Monde Libre», et de leur point de vue les “comploteurs” sont les personnes à qui ils nuisent, qui de leur point de vue encore ont une “intention de nuire”: chaque groupe est symétriquement dans la même position, ils luttent contre un groupe “malintentionné”, agir “contre le mal” est une “bonne fin”, donc, «tous les moyens sont bons», même ceux “mauvais” – «d'un mal peut naître un plus grand bien».

Les mots sont importants, mal les choisir conduit à masquer ce qu'on veut dévoiler...

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