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Billet de blog 2 juillet 2016

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Gibraltar ne perd pas le nord

Reconnue depuis plus de trois siècles par l’Espagne à travers le traité d’Utrecht (1713), la possession britannique de Gibraltar pourrait de nouver poser problème : 95,9 % des gibraltarien-ne-s souhaitent rester dans l’UE.

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Derrière la plus courte frontière du monde (1, 2 km), le Ministre des Affaires Étrangères « en fonction » depuis six mois que l’Espagne demeure sans nouveau gouvernement, José Manuel García-Margallo, réveille ses velléités sur la souveraineté de Gibraltar. Peu reconnu pour ses qualités de négociateur, il a tenté ce vendredi d’agiter encore le drapeau de la co-souveraineté, lors d’une conférence de presse organisée à Madrid avec Susana Malcorra, Chancelière argentine et par ailleurs candidate à la succession de Ban Ki Moon au poste de Secrétaire Général(e) des Nations Unies. Leur rencontre avait pour sujet la situation des Malouines et de Gibraltar vis-à-vis de la couronne britannique. 

José Manuel García-Margallo a annoncé, revendiquant par la même occasion le Ministère des affaires extérieures pour les années à venir, qu’il soumettrait la proposition espagnole lors du sommet européen de septembre. « La sécurité juridique serait totale. C’est une offre généreuse en plus d’être une bonne affaire. » Sans prendre en compte l’avis des habitant-e-s de Gibraltar, il a aussi précisé qu’il s’agissait plutôt d’un ultimatum diplomatique que d’une simple proposition de négociation : « Le Royaume-Uni et l’Union Européenne n’ont pas un mot à dire sur ce sujet. Il s’agit d’une question bilatérale entre le Royaume-Uni et l’Espagne ».

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Susana Malcorra, Chancelière argentine, en compagnie du Ministre des Affaires Étrangères espagnol, José Manuel García-Margallo, à Madrid le 1er juillet 2016 © EFE

La bilatéralité envisagée par l’Espagne est enterrée par le Royaume-Uni depuis 2002, et un référendum à Gibraltar autour de la question : « Approuvez-vous que le Royaume-Uni et l’Espagne partagent la souveraineté de Gibraltar ? » Quitter l’UE n’était alors pas d’actualité, mais 99 % des avis étaient défavorables à la co-souveraineté, bien que le territoire figure sur une liste de territoires considérés comme non-autonomes, établie par l’ONU en 1963 (comme les Îles Vierges, les Caïmans, les Malouines, les Turques-et-Caïques, Sainte-Hélène et Montserrat). À ce titre, le Royaume-Uni y avait organisé une consultation en 1967, approuvée par 99,64 % des votant-e-s, en vue de l’adoption du statut de territoire d’outre-mer.

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Chaque 10 septembre, Gibraltar célèbre sa fête nationale, en souvenir du référendum de 1967. © The Gibraltar Magazine

Cependant, de nombreux responsables politiques et médias espagnols désignent encore Gibraltar comme une colonie britannique, et ne reconnaissent pas la légitimité du drapeau de l’Union Jack sur le rocher. Le 7 juin dernier, à l'occasion d'une tribune spécialement dédiée à ce sujet, le Ministre Margallo avait, dans les colonnes du quotidien conservateur ABCappelé les responsables politiques gibraltariens à entamer de nouvelles discussions autour d'une coopération avec l'État espagnol en cas de Brexit, notamment en vue de permettre au rocher de conserver l'accès au marché commun dans sa configuration actuelle.

En effet, bien que ne faisant pas partie de l'espace Schengen, Gibraltar bénéfécie d'un statut spécial au sein de l'Union Européenne, qui lui permet d'appliquer un régime fiscal en toute autonomie (pas de TVA par exemple), sans avoir à participer aux financements des budgets européens en retour. Cette singularité attire un nombre non négligeable de sociétés, puisqu'environ 30 000 y sont domiciliées (au titre de qualifying companies), pour autant de citoyen-ne-s. Fortes d'un taux d'imposition extrêment faible, beaucoup de banques sont installées ou ont des filiales à Gibraltar, ce pour quoi le rocher est un centre de finances d'envergure.

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La courte et dangereuse piste d'aterrisage de Gibraltar marque la frontière avec l'Espagne © BBC

Cette attractivité génère par ailleurs quelques emplois, comme le relève le dernier rapport sur l'emploi du gouvernement gibraltarien en date (de 2015), qui rapporte qu'entre 8 000 et 10 000 travailleur-se-s espagnol-e-s travaillent sur le rocher, venu-e-s genéralement de l'agglomération gaditane du Champ de Gibraltar. Environ 75 % de ces emplois seraient pourvus par des habitant-e-s de la ville limitrophe de Gibraltar, Ligne de la Conception, la quatrième ville avec le taux de chômage le plus élevé d'Espagne (36 % de chômage pour environ 60 000 habitant-e-s). De plus, beaucoup de retraité-e-s, de ce côté-ci de la frontière, bénéficient de retraites versées par Gibraltar.

Avec la chute du cours de la livre, dont dépend la livre gibraltarienne, certains salaires avaient chuté de 10 % au lendemain du référendum brtiannique, et même si la plupart des importations se font depuis l'Espagne, les trois principales formations politiques du rocher mettent en doute les qualités du Parti Populaire et de son ministre des affaires étrangères pour négocier. Dans un communiqué émis conjointement, elles ont rappelé leur fidélité à la couronne britannique et ont déclaré à propos du ministre : « Il apparaît évident que Monsieur Margallo n’est pas un expert des règles européennes, de même qu’il n’est pas non plus un démocrate ».

Le gouverneur travailliste-socialiste de Gibraltar en fin de mandat, Fabian Picardo, avait déjà marqué le ton, peu avant la visite éclair de David Cameron sur son sol le 16 juin dernier : « Gibraltar ne sera jamais espagnol, ni en partie ni dans sa totalité ». Ce jour-là, Jo Cox décédait violemment, et Cameron devait annuler son meeting pour la campagne Gibraltar stronger in Europe, prévu au Grand Casamates Square (ancienne place militaire où sont encore conservés des baraquements de l’armée britannique, c’est là qu’on défilait ou pendait en public jusqu'à la moitié du XXème siècle).

Apparaissant à présent comme un véritable fiasco, c'était pourtant la première visite d’un chef de gouvernement britannique à Gibraltar depuis 1968, et la rencontre entre le baron de Rielvaux, James Harold Wilson, et Ian Smith, le huitième Premier Ministre de la fraîchement indépendante Rhodésie (Zimbabwe). À l’époque, les deux chefs de gouvernement s’étaient rencontrés dans un bateau, près du port, sans prendre la peine d'aller fouler le sol ibérique. Ce port demeure une base de ravitaillement importante pour les sous-marins nucléaires britanniques et nord-américains de l'OTAN, ainsi qu'une station de travail de la NSA.


Sur fond de lutte contre le terrorisme, Mariano Rajoy, le Président de l’exécutif espagnol encore « en fonction », pourra peut-être évoquer Gibraltar prochainement avec le Président Obama, du 9 au 11 juillet (parmi les bases nord-américaines en Espagne figure celle de Morón, en Andalousie, base permanente de l’AFRICOM). Ce sera la première visite d’un Président nord-américain depuis la préparation de l’invasion de l’Irak, et George Bush Junior, il y a 13 ans.

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