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Billet de blog 7 mars 2022

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Au souvenir des « sorcières »

Le Parlement régional de Catalogne a adopté en janvier un décret dont l’objectif est de rendre hommage aux femmes victimes de tortures ou de féminicides après des procès en sorcellerie. La période concernée court depuis les dernières décennies de l’époque féodale jusqu’au siècle des Lumières.

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Le royaume d'Aragon fut l'un des premiers en Europe où des textes de loi furent édictés pour réprimer « les crimes de sorcellerie », en vertu desquels de nombreuses « sorcières » furent soumises aux autorités locales car suspectées d’être impliquées dans des catastrophes climatiques ou des disparitions, voire d’être à l’origine de mauvaises récoltes ou de décès d’enfants. Selon Núria Morelló, anthropologue et historienne féministe qui a étudié le profil de ces femmes assassinées, certaines étaient veuves, d’autres propriétaires, elles pratiquaient parfois la médecine et elles représentaient souvent une menace pour le pouvoir local, en raison de leurs savoirs ou de leur influence, de leur rayonnement intellectuel.

Le Parlement régional de Catalogne a adopté en janvier un décret dont l’objectif est de rendre hommage à ces centaines de femmes victimes de tortures ou de féminicides après des procès en sorcellerie. La période concernée court depuis les dernières années de l’époque féodale jusqu’au siècle des Lumières.

Positionnement politique et exercice de mémoire

Cette résolution prévoit notamment l'appui des recherches universitaires en cours sur les chasses aux sorcières, un positionnement contre lequel seules se sont opposées la droite et l'extrême droite. L'initiative du parlement vise ainsi à « encourager les politiques publiques destinées à promouvoir le souvenir de toutes ces femmes qui ont été injustement exécutées suite à des condamnations infondées » et à « promouvoir une justice historique dans la filiation des initiatives prises notamment en Écosse, en Suisse, en Norvège ou en Navarre ».

Selon son président, Pere Aragonès, cet engagement répond à la nécessité de « reconnaître et réparer le féminicide institutionnalisé qui a eu lieu en Catalogne » durant cette période de chasse aux sorcières. Le texte s’inscrit en effet dans le cadre intellectuel d’une campagne lancée en mars 2021 par la revue d’histoire Sàpiens, à l’origine d’un manifeste plaidant pour une recherche universitaire réhabilitant l’histoire de ces victimes et ayant recueilli plus de 12 000 signatures.

« Elles étaient des femmes, pas des sorcières »

Si le parlement catalan reconnaît aujourd'hui « la persécution misogyne » qui a été exercée durant des siècles à l'encontre des femmes condamnées pour sorcellerie dans la région, c'est avant tout grâce aux travaux académiques menés sur le sujet depuis des années et qui ont permis de mettre des mots sur des mécanismes de ségrégation et de criminalisation d'individualités jugées « déviantes » par rapport aux critères normatifs et patriarcaux qui prédominaient.

Dans cette perspective analytique Pau Castell (UB), auteur d'une thèse sur la chasse aux sorcières, Orígenes y evolución de la cacería de brujas en Catalunya (siglos XV-XVI), a déjà pu identifier environ un millier de femmes ayant péri suite à des procès de ce type depuis 1424, année de la première loi condamnant la sorcellerie en Europe. Son travail à partir d'archives municipales lui a d'ailleurs permis de cartographier cette violence misogyne dans l'Atlas des chasses aux sorcières entre le XVème et le XVIIIème siècle.

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