Jeudi 7 avril 2016, Mauricio Macri s'invitait officiellement à la télévision argentine pour assurer sa défense, suite à la divulgation de documents du cabinet Mosseck Fonseca le concernant par le quotidien La Nación et la chaîne Canal 13, les deux médias argentins représentés au ICIJ, le consortium international des journalistes d'investigation en charge du dossier "Panama Papers". La conférence de presse organisée par la Casa Rosada s'est finalement avérée être une simple allocution protocolaire, aucun journaliste ne pouvant poser de questions sur le tapis du palais présidentiel.

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"Je n'ai rien à cacher". Pourtant, le Président Macri, élu en novembre 2015 avec 51% des suffrages, n'a pas fait apparaître dans sa déclaration d'imposition de 2008 sa participation dans une entreprise offshore de trading, domiciliée à Panamá, et dirigée entre autres par son père, Franco Macri. À cette époque, Mauricio Macri venait d'être élu maire de Buenos Aires (élu en 2007, il fut réélu en 2011 et reconduit jusqu'en 2015). Dans l'organigramme de la Kagemusha S.A., société domiciliée au Panamá depuis 1981, Mauricio Macri figure comme directeur et vice-Président, aux côtés de son père mais également de son frère, Gianfranco Macri. Mauricio Macri a défendu la légalité du montage fiscal en question, en précisant qu'il n'assurait dans cette société qu'une présidence à minima, "occasionnelle".

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"Je ne l'ai pas fait apparaître car l'entreprise est dirigée par mon père". Voilà la principale ligne de défense du Président, dont les explications n'ont pas empéché une première manifestation le soir-même sur la Plaza de Mayo, où environ 300 personnes se sont spontanément rassemblées pour demander des explications au gouvernement, mais aussi pour sensibiliser la population. Aucun média local n'est allé les filmer ou les interroger, exceptée la C5N, dont vous pouvez regarder un des suivis ici (5 minutes environ). Sur les pancartes, on pouvait lire "Qu'il s'en aille"; "Macri-Voleur" ou encore "Macri-Marionette des USA", rappelant que Président Obama était encore en voyage officiel en Argentine il y a trois semaines, notamment pour parler de l'exploitation des gaz de schiste, dont l'Argentine pourrait devenir le troisième producteur. Le lendemain, vendredi 8 avril, les avocats du Président Macri n'ont pas fourni au juge Delgado d'autres documents que ceux déjà révélés par la presse.
Ce lundi 11 avril, d'autres preuves de la participation active de l'entourage du Président dans des entreprises domiciliées dans des paradis fiscaux ont été publiées, notamment par le portail d'information digital El Destape. Le 23 février dernier déjà, un bulletin officiel du Ministère de l'Énergie établissait que la société nationale distribuant l'électricité, la ENRE (Ente Nacional Regulador de Electricidad), avait autorisé le 19 février précédent le transfert de 10,66 millions d'actions au sein d'une de ses filières, la Yacylec, vers une des principales sociétés du Groupe Macri domiciliée au Panamá, la Sideco Americana S.A. Aujourd'hui, El Destape rend compte d'un organigramme de cette entreprise diffusé également hier sur la C5N. On peut y lire que la société a été enregistrée au Panamá un mois à peine après que n'ait été créée la Kagemusha S.A. Dans cet organigramme apparaissent le père de Mauricio Macri, Francisco Macri, en tant que Président, ou en tant que trésorier, Roberto Ringhini, membre actuellement de la commission du partenariat public-privé chargée de gérer les infrastructures routières pour le Ministère des Travaux et de la Construction justement en partenariat avec le Groupe Macri.
La SIDECO AMERICANA S.A. est une entreprise appartenant à la famille Macri depuis 1969, et dont l'État éponge les dettes depuis 2001. Il s'agit en fait d'un oligopole réunissant des entreprises des secteurs minier et immobilier qui s'est spécialisé dans l'aménagement d'infrastructures publiques comme les autoroutes, les barrages et les centrales. Dans cette perspective, la Sideco Americana S.A. a récolté 5,33% des parts de la société qui exploite l'énergie produite depuis la centrale hydro-électrique de Yacyretá, la Yacylec, avec l'approbation de la ENRE et du gouvernement, duquel elle reçoit déjà 11% du budget du Ministère des Travaux et de la Construction. Il est par ailleurs intéressant de constater l'identité des deux souscripteurs de la Sideco Americana S.A. qui apparaîssent dans l'organigramme publié par El Destape : Eloy Alfaro de Alba, ancien avocat, ancien directeur de l'Autorité du Canal et ancien magistrat de la Cour Suprême de Panamá, cet homme est aussi l'ancien ambassadeur des États-Unis au Panamá, et quant à Felipe Santiago Tapia Castillo, il semblerait selon les documents du ICIJ qu'il n'existe pas, puisque son nom est mentionné dans plus de mille entreprises enregistrées dans le pays, en qualité de souscripteur, de président, de vice-président, de directeur ou de secrétaire.
Ces informations n'ont toutefois pas encore été reportées au dossier que monte dans le cadre de son enquête préliminaire le juge Delgado, qui cherche pour l'instant seulement à déterminer quel a été le degré de participation de Mauricio Macri dans les montages fiscaux qui concernent deux sociétés appartenant à son père, la Fleg Trading Ltd., enregistrée aux Bahamas, et donc la Kagemusha S.A., précédemment citée et enregistrée au Panamá. Le juge Delgado veut également savoir si le Président argentin a "malicieusement" oublié ou non de déclarer les parts commerciales qui lui revenaient dans sa déclaration fiscale de 2007 et ne parle pour le moment pas d'un possible blanchiment d'argent. Dans cet objectif, seules deux personnes ont été convoquées jusqu'à présent, avec le statut de témoin. Il s'agit de Silvia Martínez, avocate et spécialiste dans l'évasion fiscale et les sociétés offshore, et Hugo Alconada Mon, avocat également, et journaliste chargé du dossier "Panama Papers" pour La Nación.
Cette instruction a été rendue possible grâce à une plainte déposée auprès du juge Sebastián Casanello, également en charge du dossier, par un député du Front de la Victoire, Darío Martínez. Cette enquête intervient alors que Cristina de Kirchner, la Présidente sortante, est depuis mercredi citée à comparaître devant les tribunaux pour l'implication de son ancien gouvernement dans l'affaire de "la ruta del dinero K", dans laquelle elle est soupçonnée de corruption, d'évasion fiscale et de blanchiment d'argent en bande organisée. Par ailleurs, Mauricio Macri, Président du club Boca Juniors entre 1995 et 2007, a déjà été cité à comparaître dans quatre affaires importantes, entre 1989, lorsqu'il empochait des contrats de l'État sans appel d'offre pour le compte de la SIDECO au début de l'ère de privatisation sans précédent que rencontrait le pays, et 2001, quand le Groupe Macri était invité à comparaître devant les tribunaux pour répondre du non-remboursement de dettes contractées auprès de l'État et du licenciement de 10 900 employés en quatre ans au sein du service postal national, récupéré pour une concession privée de 30 ans par le Groupe Macri à travers la Socma, à partir du 1er septembre 1997, suite à une décision de celui qui était alors Président du pays, Carlos Menem.

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