S’engager dans une réflexion sur les livres, la presse et le climat bouscule quelques présupposés. A posteriori, il serait même tentant de parler du climat à la manière dont Saint-Augustin parlait du temps : « Qu'est-ce que en effet que le climat ? Qui saurait en donner avec aisance et brièveté une explication ? ... Si personne ne me pose la question, je le sais ; si quelqu'un pose la question et que je veuille expliquer, je ne sais plus. ». Mais quelle est la relation entre le climat et le temps et de quel temps parle-t-on ? D’abord, la météo : météo et climat ne signifient pas la même chose puisque la météo, c’est « le temps qu’il fait ». Les valeurs (températures, précipitations, pression....) sont instantanées et locales alors que pour le climat ces mêmes valeurs varient, mais sur des échelles de temps différentes. Puis, la durée.
Dans un ouvrage intitulé Du temps, Norbert Elias considère que le savoir humain est parvenu à un niveau de synthèse qui passe par le recours à des symboles relationnels qui ont pour fonction de permettre aux hommes de communiquer entre eux et de se comprendre. Ainsi, les termes « mois » ou « semaines » ont remplacé les termes « lunes » ou « marchés ».
Réfléchir à la notion de temps suppose, selon lui, d’aborder la réalité au prisme de dimensions objectives ou subjectives, collectives ou individuelles, historiques et sociologiques... Existe-t-il un dénominateur commun dans les manières de vivre ou d’analyser le temps ? Oui, répond Norbert Elias, le temps est toujours abordé, à tort, comme une donnée naturelle ! La médiatisation des enjeux climatiques et l’imaginaire littéraire constituent également des détours, comme autant de parades à la menace d’une réalité complexe et anxiogène. Des invitations aussi à donner sens aux questions climatiques non seulement dans un temps objectif mais aussi subjectif et social.
D’une part, le temps objectif, des physiciens, des calendriers des cloches et des horloges... n’est pas réductible à la mesure ou aux divisions. Les instruments de mesure du temps doivent être envisagés du point de vue de leur valeur symbolique et politique car tout système d’ordonnancement temporel renvoie à la manière dont une société se pense, à un ordre social. La consécration de la mesure à ne pas dépasser (2° comme seuil de réchauffement) ou la notion de « sensibilité » du système climatique aux rejets de CO2 font écran aux rapports de force entre pays plus ou moins vulnérables et à leurs volonté/capacité d’action. Surtout, une précision est importante,... « il n’est pas évident de savoir à quel horizon temporel le chiffre se réfère... » (A.Dahan et S. Aykut)
D’autre part, la re-politisation des questions climatiques, essentielle, gagne à être nourrie d’une philosophie du temps intérieur. Ici, pas de hiérarchie d’échelles : nous sommes dans le temps autant qu’il est en nous et le temps presse. Rien ne permet de croire que la COP 21 réussira là où les autres ont échoué, alors que s’allonge la longue file des réfugiés climatiques et que les faits d’actualité insoutenables se multiplient au risque d’augmenter notre seuil de tolérance à l’insupportable. Trop de temps a déjà été perdu ! Enfin, la crise climatique alerte sur l’impérieuse nécessité de réviser nos modes de pensée, nos modèles sociaux, l’ordre social et politique. L’expérience que nous faisons du temps perdu ne se résume pas à du « ressenti » et l’histoire du climat n’est pas celle des temps physiques ou intérieurs, encore moins celle de la météo. Elle est tout cela à la fois et bien plus encore car solidaire d’un temps social rythmé par l’urgence et bruissant des désirs de millions de citoyen-ne-s du monde de produire une relation renouvelée et apaisée au temps, au climat, aux autres et à nous-mêmes.