Written by the troupe
Le centre Serraino Vulpitta de Trapani, en Sicile, est une structure à deux faces. Dans le jardin et dans un des deux bâtiments, des retraités vivent leurs dernières années. Par contre, au deuxième étage du bâtiment principal, des dizaines de tunisiens et d’égyptiens attendent d’être ramenés chez eux derrière une grille qui les cachent des regards.
Dans le jardin, une dame d’environ quatre-vingt ans écoute une vieille radio. Elle ne s’aperçoit pas, ou peut-être qu’elle n’entend pas, que les prisonniers du deuxième étage cherchent à communiquer avec nous. Lors de cet échange, ils crient le mot d’ordre de tous les prisonniers : « Liberté ! », en exposant leurs mains au delà des grilles avec le signe de la victoire.
Aussi, ils cherchent à communiquer leurs malaises, dans un italien simple et compréhensible. Selon eux, ils sont une cinquantaine, la plupart d’entre eux sont enfermés depuis plusieurs mois. Personne ne sait pour combien de temps, ils seront obligés d’y rester. Ils expliquent qu’ils n’ont pas accès aux visites médicales et qu’ils n’ont pas rencontré d’avocats. Ils ajoutent aussi que certains d’entre eux sont en train de devenir fous.
Nous ne pouvons pas savoir si toutes ces informations sont fiables. Grâce à la décision du ministère de l’intérieur d’interdire l’accès au CIE (Centre d’Identification et d’Expulsion) aux journalistes, nous ne pouvons rien faire pour les vérifier. Le fait de dissimuler les histoires de vie de ces prisonniers est particulièrement confortable pour les responsables de cette stratégie de criminalisation. Celle ci transforme un délit administratif, être sans papier, en un délit pénal.
Il y a une autre structure « d’hospitalité » pour les migrants quelques kilomètres hors du centre ville, le CARA de Chinisia (Centre d’accueil pour demandeurs d’asile). C’est une structure gérée par une coopérative sociale parmi les dizaines qui forment l’ensemble du système social privé italien. Un système qui ne semble pas transparent, en jouant sur les dépenses normalement destinées à couvrir les besoins des migrants (nourriture, logement, service médicaux, cours d’italien, etc.). Ils sont le dernier maillon d’un partage de responsabilité qui réunit les mairies, les régions, la croix rouge italienne, la protection civile et le ministère de l’intérieur.
La structure est formée de petits bâtiments à deux étages dont les noms, choisis de manière grotesque et naïve, rappellent aux « hôtes » l’existence de personnes qui ont risqué leur propre vie pour la liberté : Gandhi, Luther King, Mandela.
A l’intérieur de la structure, gardée par des agents de police et des militaires, il y a beaucoup de monde (200 pour la police, 350 pour les migrants). La plupart d’entre eux sont originaires d’Afrique subsaharienne et ont fuit la Libye, où ils travaillaient, suite à la guerre. Parmi eux, il y a aussi quelque tunisiens et quelques égyptiens.
Malgré les portes ouvertes et l’accès libre, sans l’autorisation de la préfecture nous ne pouvons pas rentrer. Sur le trottoir en face de la structure, des migrants discutent en attendant à l’abri des arbres. Nous cherchons à parler avec eux. Nous expliquons notre projet et la route que nous allons parcourir. Au début, ils ne veulent pas parler face à la caméra, mais ils nous a suffit d’en convaincre un pour que les autres trouvent le courage et commencent à parler.
Ils sont originaires de la Guinée, de la Côte d’Ivoire ou du Sénégal. Ils sont arrivés en Italie, à Pantelleria ou à Lampedusa, en partant de Tripoli, en Libye. De leur discours ressort toute la complexité de la guerre en Libye : qui sont les rebelles du CNT ? Khaddafi est-il un criminel ou un héros ? Qu’est ce qui se cache derrière les arguments d’ingérence, alors que nous accueillions le représentant libyen à bras ouvert ces dernières années et que nous lui fournissions des armes pour contrôler les flux migratoires ?
Encore une fois la réalité se révèle dans toute sa nuance de gris, avec ses doutes et ses contradictions. Encore une fois, nous devons remettre en question le portrait noir et blanc que les médias et la communication d’Etat nous donnent et dont la plupart de la population européenne est habituée à entendre pour comprendre la complexité du monde.