Musulman est une chanson de révolte. Une protest song post-11-Septembre. Le rappeur libanais, Rayess Bek n’appelle pas à la rébellion. Il dit seulement qu’il est musulman et qu’il n’a jamais tué personne.
« J’ai pas de couteau, de kalachnikov et de cartouche
J’ai rien de cet armement
Pourtant t’as vu je suis musulman
(…)
Pourtant je suis musulman
Issu d’une famille musulmane
Je n’ai jamais racketté de jeunes
Ou bien frappé de vielles dames
(…)
Et le 11 septembre 2001
Je ne pilotais pas l’avion
Je dormais dans ma chambre tranquillement
Même si je suis musulman »
Quand se révolter se résume à rappeler ce que nous sommes : l’altérité fait naufrage. Mais le chanteur scande son identité et son innocence afin de reprendre le droit dessus. Rayess Bek se réapproprie la définition du Musulman en renvoyant cyniquement à la figure de l’accusateur son ignorance, son simplisme. Le rappeur pouffe de rire et nous dit qu’il est un être humain comme les autres.
Au seizième siècle, l’homme blanc se demandait si « les Indiens avaient une âme ? ». Aujourd’hui l’humanité du Musulman est hypothétique. Et l’Occident s’octroie seul, l'autorité de la valider aux yeux du monde. L’ethnocentrisme occidental a longtemps jugé, expliqué, imaginé les « parias » du Sud. Le pays du miel et de l’encens ; l’Orient fantasmé des orientalistes et des odalisques dénudées a cédé le pas aux dangereux basanés à l’islam tragique. La tentative occidentale toujours recommencée de définir l’autre, le différent : le déposséder de sa diversité, sa réalité pour le circonscrire.
Dans la préface de 2003, de son immense livre, l’Orientalisme, l’Orient crée par l’Occident (1978),Edward Said notait : « Les terribles conflits (…), qui rassemblent les populations sous des bannières faussement unificatrices comme « l’Amérique »,« l’Occident » ou « l’islam » et inventent des identités collectives pour des individus qui sont en fait très différents ne peuvent pas continuer leurs ravages. Il faut s’y opposer. »
Décédé en 2003, Edward Said n’aura pas connu les révolutions arabes qui ont pris de court l’ordre établi et fait basculer le rêve du côté des peuples oubliés. Il avait tout de même un peu entrevu la possibilité d’un changement: « Nous disposons désormais du très encourageant champ démocratique représenté par la cyberespace,ouvert à tous, à une échelle que ni les générations précédentes, ni aucun tyran, aucune orthodoxie n’auraient jamais pu imaginer. »
Voilà que les indignés du Sud envoient valdinguer les raccourcis raciaux et font rêver les jeunesses du Nord.
Éperdument inspiré du poète mystique persan Hafez, Goethe a écrit le plus beau recueil d’une rencontre de deux cultures : Le Divan oriental-occidental.
“Je consens que le monde entier s'abîme ! Hafiz, c'est avec toi, avec toi seul, que je veux rivaliser. Que plaisirs et peines nous soient communs, à nous, frères jumeaux ! Aimer et boire comme toi sera mon orgueil, sera ma vie.”