C'est avec émotion que nous avons appris le décès de notre ami Jean-Pol Madou, Professeur émérite de philosophie à l'Université de Savoie, critique et intellectuel essentiel, l'un des meilleurs spécialistes francophones des rapports philosophie - littérature, et l'une des figures fondamentales de la mythocritique. L'œuvre de Jean-Pol Madou reste caractérisée par l'infinie délicatesse avec laquelle il avait coutume d'approcher la littérature : jamais avec le surplomb que lui aurait permis son immense culture, mais toujours en connivence patiente avec les auteurs qu'il analysait avec une science consommée du temps qui seul, donne accès aux investigations les plus subtiles, menées de l'intérieur des imaginaires.
Tous ceux qui ont connu, rencontré ou fréquenté Jean-Pol Madou garderont en mémoire une simplicité, une bienveillance et une courtoisie qui faisaient de lui, certainement, le tenant d'une très ancienne bienséance, celle de l'humanisme européen qui fait de la conversation avec les grands auteurs, une sorte de grammaire de l'esprit. C'est cette sorte de sagesse du dialogue avec les œuvres qu'il appliquait aux autres, dans ses rapports humains, de telle sorte qu'au gré d'une conversation avec lui, vous pouviez vous sentir à la fois valorisé et attendu. « Les humanités » avaient infusé en lui des qualités d'écoute qu'il savait appliquer aussi bien aux livres qu'aux êtres.
Jean-Pol Madou est l'auteur de l'une des approches les plus délicates et les plus aiguës consacrées à l'œuvre d'Édouard Glissant : Édouard Glissant. De mémoire d'arbres (Rodopi, 1996). Au tamis de la phénoménologie, des topoï de l'imaginaire et de l'intuition, Madou avait su avec ce court essai, sonder la parole poétique et la pensée de Glissant. Et dans Errance et épopée. Glissant, Segalen, Walcott (Passages, 2016), il avait envisagé les entrelacs portés par Glissant et Sylvie Séma sur Rapa Nui, dans l'écrin magique que demeure La terre magnétique.
Je me souviens de ma dernière rencontre en date avec Jean-Pol Madou, en dehors de nos échanges par mails. C'était en 2021 à Radio France, dans les studios de France Culture, quand il s'apprêtait à entrer en entretien et que moi, j'en sortais tout juste, pour la série « Avoir raison avec Édouard Glissant ». Il était interrogé pour la quatrième partie de la série, « La poésie glissantienne ».
Notre échange avait été fervent, comme à l'accoutumée. « Loïc, est-ce que Glissant a eu Césaire comme prof de philo à Fort-de-France ou non ? » À ma réponse, lui confirmant que ça n'avait pas été le cas (le prof de Glissant avait été Aristide Maugée), il m'avait remercié avec insistance, et m'avait demandé où en était notre revue, Les Cahiers du Tout-Monde, au comité de lecture de laquelle il avait généreusement accepté de figurer dès son premier numéro en 2020.
Parfois (et c'est devenu très rare), les passeurs de littérature ont gardé de leur longue fréquentation des œuvres, la grâce des grandes houles qui animent les grands livres. Et c'est avec cette grâce qu'ils abordent, au bout de la route, « le grand pas souverain de l'âme sans tanière » dont avait parlé Saint-John Perse, dans Chronique. Jean-Pol Madou désormais sans tanière : de mémoire d'âme.
Loïc Céry (Institut du Tout-Monde)
En lien : le site de Jean-Pol Madou.