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Billet de blog 1 avril 2013

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Une enfance de transhumants

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Comme précisé dans un précédent article  ("La transhumance des livres"), j'ai passé la plus belle partie de mon enfance sur un col situé à 2200 m d'altitude, près de la frontière italienne. Pendant quatre mois, de mi-juin à mi-octobre, nous étions comme posés sur le sommet du monde...

Certes, la vie y était pour le moins rustique: pas d'électricité, ni de téléphone, l'eau était courante et devait être ramenée de la source située à une bonne demi heure de marche dans de grands bidons à lait...Il n'y avait pas de route non plus et mes parents allaient faire, à tour de rôle, les courses au village d'en bas, ramenant les provisions à dos d'ânes, une fois par semaine. Partis à l'aube, ils n'étaient de retour qu'à la nuit...

Pour nous, les gosses, c'était le Paradis...Totalement libres, nous arpentions ces espaces gigantesques, ces prairies semées de fleurs multiples et superbes: Lys martagons, trolles, lys orangers, gentianes...Nous y construisions nos châteaux, partions à la découverte comme les explorateurs d'un nouveau monde, guettions les marmottes dont les sifflements se répondaient en écho...

Nous étions dans les années 50/60 et la mode de la randonnée pédestre, n'avait pas encore peuplé nos montagnes de marcheurs impénitents...Toutefois, quand nous apercevions du haut d'un promontoire des petits points noirs mobiles, je courais emprunter les jumelles de mon père, en criant à ma mère: "Y a quelqu'un, y a quelqu'un!!!!". Nous observions la progression des visiteurs, ce qui prenait un certain temps, spéculant sur la nature des étrangers...

Quand, enfin, ils atteignaient le dernier virage avant la cabane, nous nous précipitions à leur rencontre en leur criant: " allez voir maman, elle a fait des beignets aux pommes!!!" Les marcheurs, surpris par notre irruption, heureux de faire une halte ne manquaient pas de poser leurs sacs avant d'emprunter les escaliers qui les amenaient dans la pièce principale où les attendaient les fameux beignets aux pommes... C'était souvent le début de soirées mémorables...

Quels souvenirs que ces soirées sous les étoiles... Notre père était chargé de se rendre au "frigo", un névé blotti au creux du torrent à une bonne demi heure de marche et dans lequel, dans des sacs à pains en toile, était entreposées les denrées périssables... Il en ramenait un quartier de mouton qu'il faisait rôtir sur le grand feu que nous avions allumé dans un replat... Et puis, mes parents chantaient, à deux voix, parfois repris par les invités qui nous parlaient de leur pays.. Ainsi, nous voyageâmes à travers toute l'Europe.. Un réalisateur belge revint même, un an après, faire un film sur notre vie... On ne l'a jamais vu. Il paraît qu'il a eu un prix...

Quand tombaient les premiers flocons, il fallait songer à redescendre... Tristes, nous allions dire au revoir à nos lieux préférés, que nous avions baptisés de noms issus de notre imagination fertile: le "château", le "col maudit", les "Garraques" et même "les fesses de Mathilde".... Nous allions retourner à la civilisation, pour une longue, très longue, année scolaire...

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