
Même la météo s'en mêle. Il pleut des cordes, il fait froid, aucune envie d'aller battre le pavé, de slalomer entre les flaques d'eau, de pousser la chansonnette derrière la voiture-sono - d'ailleurs Patachou est morte et ça me rend tout triste -, d'inventer des slogans qui pourraient être repris par des foules en colère et qui ne soient pas la simple reprise de ceux du siècle dernier dont on voit assez qu'ils n'ont pas réussi à changer grand chose au monde dans lequel nous vivons.
Je me souviens pourtant des premiers mai d'antan, de ces défilés nourris et rageurs, festifs et insolents qui ranimaient l'ardeur au combat de tous ceux qui n'avaient pas oublié que l'on commémorait, ce jour-là, la mort de ces ouvriers de Chicago sur lesquels la police n'avait pas hésité à tirer ( de ce côté-là, elle n'hésite toujours pas à tirer); de ces défilés dans lesquels se retrouvaient les prolos et les intellos, - c'est ce qu'on disait, alors -, les jeunes, qui n'étaient pas toujours des caricatures de leurs aînés, et les plus âgés qui venaient rappeler les heures sombres, mais aussi les heures glorieuses, des luttes qui devaient continuer.
C'était à Douai, en mai 71. Le rassemblement avait lieu place Carnot, à deux pas de la rue Morel où nous habitions, à deux pas aussi du Lycée dont j'apercevais les grilles de la fenêtre de notre chambre, juste en face de hangars qui appartenaient à l'armée et où était entreposés, disait-on, des fers à cheval, on ne sait jamais, ça pourrait servir un jour... Les affrontements, les luttes d'influences entre la gauche et l'extrême-gauche étaient pour une fois étalés au grand jour. J'avais, autour de moi, quelques uns de mes élèves qui étaient engagés à la JC (Jeunesse communiste, je rappelle), en particulier ceux que leurs copains appelaient le "trio", indéfectiblement unis pour toutes les aventures. Sauf que le trio avait perdu, en chemin, un de ses membres qui s'était laissé séduire par une prof trotskiste, qui lui promettait une révolution immédiate et des révélations plus immédiates encore. Les deux groupes se faisaient face, la tension était perceptible, jusqu'au moment où le troisième larron avait ostensiblement déchiré sa carte de la LCR (Ligue Communiste Révolutionnaire, je rappelle aussi...) et était venu nous rejoindre, sous nos acclamations. Je ne les ai pas oubliés, ces trois garçons, même si depuis les années ont passé. Je sais leur nom, toujours - Arnaud D., Gaëtan C. et Jean-Luc S.
Je me souviens d'un autre premier mai, à Bordeaux, cette fois, où le groupe qui animait cette glorieuse revue qui avait nom "Positions" - rien d'érotique, là-dedans,malheureusement, mais la reprise du titre d'un bouquin de Louis Althusser - avait choisi l'opportunité d'accroître sa diffusion. Il faisait un temps abominable, comme aujourd'hui ; les "camarades" du PCF (Parti Communiste Français, je rappelle...) ne nous réservaient pas un accueil très chaleureux, nous avions mauvaise réputation et nos critiques les exaspéraient, au point de n'être pas sensibles au sourire désarmant d'une petite fille blonde de 4 ans qui leur proposait d'en acheter.
C'était l'époque où la vente du muguet rapportait tellement qu'elle assurait l'essentiel du financement du PCF - c'est ce que l'on prétendait en tout cas. Ce matin, sous de grands parapluies, des enfants bien habillés gagnaient leur argent de poche.
Où sont les premiers mai d'antan ?