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Mon père était berger transhumant. Chaque année, de mi juin à mi octobre, nous quittions la plaine de la Crau (près d'Arles) pour nous rendre sur un col à deux mille mètres d'altitude, près de la frontière italienne... Ce n'était pas une mince affaire: toute la famille se déplaçait: mes parents, les quatre enfants, deux bergers, le chien, le chat et un millier de moutons... L'essentiel de la route se faisait en camion, mais le col n'était pas accessible , il n'y avait, à l'époque pas de route... Il nous fallait donc marcher deux jours pour atteindre la "cabane", maison en pierre et bois, plutôt rustique... Nous n'avions ni electricité, ni téléphone, ni gaz, l'eau était "courante" a sens propre du terme, il y avait un réfrigérateur mais il était situé à vingt bonnes minutes de marche, c'était un névé... Pour transporter les affaires , nous disposions de quatre ânes...
Début juin, ma mère commençait à préparer, à organiser, répartir, tâche dans laquelle elle excellait...
Un scène se produisait invariablement qui est restée gravée dans ma mémoire:
Ma mère: " Cette année, on pourrait, emporter ceci, ou bien cela, ce serait pratique, et puis et puis..."(Débit rapide, enthousiaste, directif)
Mon père: (très calme) Oui...
Ma mère: Donc, tu es d'accord...
Mon père: Oui
Ma mère: Alors cette année, ton sac de livres, tu t'en passeras, on gagnera de la place...
Mon père (toujours calme mais ferme): Ce n'est pas négociable!!!!
Et ma mère de tempêter, d'argumenter, d'aller jusqu'aux insultes... Mon père ne rajoutait pas un mot mais il n'a jamais cédé sur ce point...
C'est lui qui m'a appris à lire, en gardant les moutons, sur un vieil abécédaire de son époque. Il m'a transmis l'amour des livres, et je lui en serai éternellement reconnaissant...
J'ajouterai que je garde un souvenir émerveillé de ces périodes de transhumance, nous arrivions sur une montagne magnifique recouverte de fleurs, encore parsemée de plaques de neige... Tant de fleurs: trolles, lys martagons, lys orangés, gentianes etc.. Nous étions libres comme l'air et comme posés sur le sommet du monde...