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Billet de blog 7 avril 2009

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Quand sont venus les Américains...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avec chars d’assaut et autos-mitrailleuses, les Américains sont venus chasser les Allemands de chez nous, le 24 novembre 1944. Les Allemands étaient deux, qui nous occupaient depuis plus de quatre ans. Deux gendarmes qui semblent avoir fait profil bas pendant toute la guerre, tout heureux d’être planqués là, à distance égale ou presque du front russe et du mur de l'Atlantique. Quand ils arrivent, les Américains, les deux Allemands sont loin, partis depuis deux jours.


Ils apportent des produits que nous ne connaissons pas, les Américains. Du chewing-gum, qui ne nous plait pas trop, comparé au chocolat et aux bonbons. Maman trouve très curieux que ces types venus d’outre-Atlantique nous distribuent du chocolat Menier et des bonbons La Pie qui chante (ou Pierrot Gourmand?). Où ont-ils bien pu trouver ces friandises?


Notre cour est trop étroite pour y garer un Sherman. On y installe donc deux autos-mitrailleuses et une jeep de commandement. Chaque fois que l’on entend le bruit d’un moteur d’avion, les Américains se précipitent sur les mitrailleuses et maman court derrière eux pour les supplier - en alsacien ou en français appris à Paris, avant la guerre, quand elle était partie gagner son trousseau - de ne pas tirer surtout. Elle est persuadée que le seul vacarme des armes dressées vers le ciel suffira pour faire s’écrouler notre petite maison alsacienne.


De l’autre côté de la rue, chez la tante Stéphanie, la cour est plus grande. On y a fait entrer deux chars. Les équipages de ces engins logent dans les pièces qui se trouvent à l’arrière de la ferme. Des pièces que l’on chauffe rarement, puisqu’on y stocke d’ordinaire les fruits de l’automne. Ils ont froid, la nuit, les Américains. Alors ils allument deux poêles, mais le feu prend mal. Un grand rouquin sort chercher un jerricane d’essence... La tante Stéphanie, vigilante, lui fait comprendre ses sentiments à grands coups de balai sur la tête!


La tourelle du char est toute blanche, à l’intérieur. On dirait de la porcelaine. Pour un Noir américain costaud et un gamin de quatre ans et demi, la place est étroite. Nous réussissons malgré tout à nous y caser, l’Américain et moi. Pendant deux bonnes heures, nous patrouillons à travers champs. Au retour, quand mon nouveau copain me descend de sa tourelle, la tante Stéphanie et maman lui expliquent longuement ce qu’elles pensent de nos travaux de patrouille. Le grand Noir, c’est marrant, on dirait qu’il comprend l’alsacien!


Ils repartent deux jours plus tard, les Américains. Dans le secteur de Haguenau, nous dira-t-on plus tard, ils vont tomber sur une résistance farouche et désespérée des Allemands. Beaucoup d’entre eux ne franchiront jamais le Rhin. Ils ont oublié, en partant, des vêtements, un sac de couchage qui me sera bien utile à l'avenir, dans les Vosges, des livres sans intérêt... et un carnet d’adresses.


Quelques années plus tard, en feuilletant ce carnet, je me dis qu’il faudrait écrire une petite lettre à chacune de ces adresses. Maman m’approuve et dit qu’elle paiera les timbres. Avec l’aide de l’instituteur, nous rédigeons la lettre et la faisons traduire en anglais. Ces trente messages très brefs, je voudrais les accompagner à travers l’Atlantique, pour m’assurer qu’ils iront à destination, aux Etats-Unis, là-bas... Cincinnati, Chicago...


Puis j’ai attendu.


Aucune réponse n’est jamais parvenue chez moi, au 110 de la rue du 24 novembre 1944.

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