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Je me souviens....

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Billet de blog 7 décembre 2013

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je me souviens de l'ennui des vacances

   Pendant longtemps j'ai été un enfant unique. Quand, par la conjonction de neuvaines à Sainte Rita, patronne des causes désespérées, et de traitements hormonaux, deux soeurs sont venues me rejoindre - le malheur était fait et mon sort scellé - unique j'étais resté, durant quinze ans. A vrai dire, je ne m'en apercevais pas dans le courant de l'année - les copains à l'école me suffisaient. Mais quand venait l'été qui les éparpillait comme des moineaux, commençait pour moi une lente descente dans l'ennui le plus épais qui fût jamais - comme les journées étaient longues !

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Pendant longtemps j'ai été un enfant unique. Quand, par la conjonction de neuvaines à Sainte Rita, patronne des causes désespérées, et de traitements hormonaux, deux soeurs sont venues me rejoindre - le malheur était fait et mon sort scellé - unique j'étais resté, durant quinze ans. A vrai dire, je ne m'en apercevais pas dans le courant de l'année - les copains à l'école me suffisaient. Mais quand venait l'été qui les éparpillait comme des moineaux, commençait pour moi une lente descente dans l'ennui le plus épais qui fût jamais - comme les journées étaient longues !Comme les livres étaient courts que je lisais et relisais au point de les savoir par coeur ! comme les histoires que je me racontais, emplies de frères imaginaires et d'aventures qui l'étaient tout autant, finissaient par devenir lassantes !

                                Le pire était pourtant devant moi. La famille se retrouvait au bord de la mer, parents, grands-parents, oncles et tantes encore très jeunes et leurs amis - ils étaient tellement heureux d'être ensemble et d'évoquer leurs souvenirs d'enfance que ma petite présence leur paraissait incongrue - un seau, une pelle auraient dû suffir à m'occuper, mais on creuse, on creuse et les antipodes ne pointent pas le bout de leur nez, on entasse, on entasse du sable sur le sable sans parvenir à construire une pyramide un tant soit peu durable. Les premiers jours, on s'amuse bien à suivre les vaguelettes qui viennent lécher les plus beaux châteaux et repartent qui avec une muraille, qui avec une tour - ainsi s'effondrent les gloires de ce monde...Mais, vient très vite, trop vite, la conscience de l'inanité de ce jeu.

                               Alors j'écoutais, l'air de rien, le bavardage des adultes et m'imprégnais de leur enfance qui me paraissait tellement plus belle, excitante et joyeuse que la mienne, je devinais plus que je ne comprenais les conflits, les jalousies qui duraient encore, les complicités qui les réunissaient, j'aurais voulu rire de leurs fous-rires, mais rire tout seul, qui l'oserait ? Plus tard, quand je me suis mis à écrire, il y en eut pour me reprocher de leur avoir volé leurs souvenirs - belle vengeance !

                               Quand ils se mettaient à parler de ces sujets qui ne sont pas pour les enfants, il fallait que je m'éloigne - mais qu'est-ce qu'il a ce gamin à toujours nous coller ?  tu ne pourrais pas aller jouer plus loin, va faire un chateau - encore ! - près de l'eau ; va te baigner, mais attention,  pas trop loin - je ne risquais pas, je ne savais pas nager et personne navait le temps ni la patience de m'apprendre. Et puis, soudain, la parole qui tue - va jouer avec les autres enfants, va te faire des copains. Mais comment me faire des copains ? je ne les connais pas. Il est idiot, ce môme. Tu dis - "petit garçon, est-ce que tu veux jouer avec moi ?" Je trouvais ça insurmontable et totalement impudique. Jamais, je ne pourrais dire une phrase aussi bête. A tout prendre, je préférais faire semblant de me passionner pour la progression de la marée.

                               Un jour pourtant, je me suis décidé à suivre les conseils de mes parents. J'ai commencé par éliminer les groupes d'enfants déjà constitués et tellement soudés que je ne voyais aucune faille par laquelle j'aurais pu me glisser - cela faisait malheureusement beaucoup de monde. Il fallait que je trouve quelqu'un qui me ressemble, qui s'emmerde visiblement tellement qu'il ne pourrait qu'accepter mon offre. J'ai avisé un blondinet aussi perdu et solitaire que moi, qui faisait tristement les cents pas ; je me suis approché de lui, il avait une bonne gueule ; j'ai prononcé la phrase magique - petit garçon, est-ce que tu veux jouer avec moi ? il m'a regardé avec des yeux totalement vides et il est parti en courant vers un bonhomme à casquette - Daddy, Daddy...

                               Fin de l'histoire. Je devais avoir cinq ou six ans. On ne m'y a jamais plus repris.

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