L'émotion était encore là.
Les lieux, dans ma mémoire, contrairement à la réalité, n'avait pas changé.
Il n'y avait pas de ponton, pas de bateaux de plaisance, pas d'auberge à l'entrée, pas de touristes comme aujourd'hui.
Ce n'était pas le grand et chaud soleil de ce midi, mais un ciel gris-bleu ou bleu-gris comme seule la Côte d'Opale sait dessiner les soirs d'automne.

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Le vent de mer d'octobre est déjà froid... Peut-être était-ce déjà l'hiver, et le vent du nord ?
Je décide de rester dans la voiture, à l'abri du vent, garée sur le terrain vague boueux au bout du chemin de terre, près de la cale composée de débris divers entassés qui sert de plan incliné pour mettre les barques à l'eau.
Je suis face à un petit courant d'eau qui ondule à travers les dunes jusqu'à la mer
Je suis à La Madelon.
L'antique port à l'embouchure de l'Authie, ou plutôt son reliquat. Il y a bien longtemps maintenant, années après années, marées après marées, les courants l'ont ensablé, créant une barrière de dune de plusieurs milliers de mètres jusqu'à la mer, à travers laquelle la rivière a laborieusement, mais patiemment, méandre après méandre, conservé un chemin pour y déverser ses eaux.
J'avais besoin de solitude, de me glisser dans le silence.
Quoi de mieux pour cela que la musique ?
Je connaissais l'endroit
J'ai engagé dans le lecteur une des rares cassettes en ma possession, et j'ai augmenté le son...
Avec les premières notes du violon, ils sont arrivés, comme par... magie.
Je sais, désormais, que c'est la musique qui les a appelés, qui les a enjoints même de danser dans l'espace comme jamais des oiseaux de mer n'avaient dansé.
Ils savaient bien, eux aussi, que le moment était unique et que le lieu était magique !
Ils ne se sont pas fait prier pour répondre à l'invitation, je ne suis pas arrivé à les dénombrer.
Ils avaient intégré totalement le rythme, la couleur, le sens de la musique de Bach :
Ils jouaient avec les vents suivant une chorégraphie connus d'eux seuls, si ce n'est de Bach lui-même.
Par leurs arabesques de haute voltige et une cohésion parfaite, ils sublimaient le son du violon.
Sonates après sonates...
J'aurais tant voulu que cela ne finisse jamais !
Je frissonnai.
Mais pas de froid.
Je frissonne encore quand la musique de Bach me remémore ce moment unique.
france-pittoresque.com - 27 juin 2023
La Madelon : l’un des plus petits ports de France (Pas-de-Calais)