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Je me souviens....

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Billet de blog 16 mai 2011

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Lecture-écriture à Damas

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Je me souviens à la campagne...

On a un peu oublié que jusque dans les années 50-60, c’est à dire avant l’invention de ce monde abrutissant, on savait très bien quoi faire pendant nos temps de loisir, sans télés ni ordinateurs.

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On a un peu oublié que jusque dans les années 50-60, c’est à dire avant l’invention de ce monde abrutissant, on savait très bien quoi faire pendant nos temps de loisir, sans télés ni ordinateurs.

La promenade, seul ou en famille, à la campagne. “J’éprouvais trop d’affection pour les méandres du Lot, un petit paresseux, et pour cette lumière qui en septembre s’attarde sur les derniers fruits de l’été et décline insensiblement.”

Ou en ville sur les boulevards, ou encore au parc avec les enfants, où guignol les amusait tant, ou bien les cerceaux, le bac à sable... on s’asseyait sur un banc pour lire tranquillement ou pour bavarder avec une amie.

On jouait aussi “au gendarme et au voleur”, à “cache-cache”, à “Jacques a dit”, à “saute mouton”... on fabriquait des bateaux dans des écorces de pin et on les faisait naviguer sur la marnière.

Le dimanche on attelait la jument à la carriole et on descendait à la ville pour la messe où l’archiprêtre (qu’on appelait “l’archipète” bien sûr) commençait toujours ses sermons par “L’âme est lasse, mes frères...”, ce qui nous faisait tordre de rire. Pendant ce temps la jument et sa carriole étaient garées devant l’échoppe du maréchal ferrant qui remplaçait les fers si besoin était. Après la messe, c’était incontournable, on allait à la pâtisserie pour les gâteaux du dimanche, religieuses ou éclaires, millefeuilles ou choux à la crème... Et parfois “l’archipète” remontait avec nous pour le déjeuner.

On organisait souvent des balades à pied ou en vélo pour aller au bords de la Garonne où l’on pique-niquait, on se baignait, et une bonne sieste couronnait le tout.

Quand il avait plu, on partait aux escargots sur les coteaux, avec nos paniers d’osier. Puis on mettait la récolte à jeûner deux ou trois jours, avant de la faire griller sur un bon brasier et de s’en régaler avec une sauce à l’ail.

En été, quand le puits était presque à sec, on descendait en voiture à cheval à la ville pour se laver aux “bains-douches”. Les autres jours on se contentait d’un bon tub avec l’eau qui chauffait en permanence dans le fourneau de la cuisine. Pour nous inciter à ne pas gaspiller l’eau précieuse, notre grand- père mettait une petite note dans les waters qui disait: “La chasse n’est ouverte que pour le gros gibier”, ce qui nous faisait à chaque visite sourire.

Un jour notre grand-père, las de voir le puits s’assécher petit à petit au fur des années, fit venir un sourcier qui se mit aussitôt à parcourir la campagne alentour avec son bâton de coudrier, et nous le suivions partout en sautillant et curieux, jusqu’à trouver une nappe pas trop profonde dans un endroit un peu éloigné où l’on creusa un nouveau puits. Et l’on allait de temps en temps remplir d’eau une énorme barrique installée sur une charrette que tirait le percheron.

Le bistrot, où l’on pouvait jouer aux cartes ou à la pétanque, lire le journal ou pratiquer la philosophie de comptoir. “A la campagne, après une journée de travail, les hommes levaient leur verre de vin à hauteur de leur visage, ils le considéraient, ils l’éclairaient avant de le boire avec précaution. Des arbres centenaires accomplissaient leur destinée siècle après siècle et une telle lenteur avoisinait l’éternité. La lenteur, c’était, à mes yeux, la tendresse, le respect, la grâce dont les hommes et les éléments sont parfois capables.”

Le cinéma. A cette époque (le “de mon temps” que je n’aime pas beaucoup. A ce propos, je ne me rappelle plus qui répondait à quelqu’un qui lui disait toujours “de mon temps”: “De mon temps, Monsieur, ce qu’il y avait de mieux, c’était l’avenir!”.) il n’y avait qu’une séance de cinéma par soirée, on avait droit aux actualités puis à un documentaire; après quoi il y avait un entracte pendant le quel quelque artiste venait donner un spectacle, un jongleur ou un magicien; ou bien on pouvait sortir du cinéma pour boire un coup au bistrot du coin, et on y retournait pour voir le film. C’était en famille ou entre copains, c’était la soirée cinéma. Le théâtre était une soirée dans le même genre, de même que les fins d’après midi à la foire.

Et puis il y avait le bricolage, le jardin, le potager, lire, coudre, tricoter, écrire, dessiner, colorier, faire de la musique, peindre, faire des gâteaux, aller ramasser la mâche dans les prés... et puis rêver...

S’il faisait beau on partait grimper aux arbres, quelque fois pour y construire une cabane, ou on allait aux champignons, à la chasse aux papillons, ramasser des cailloux ou casser les pignons sous le grand pin parasol, pendant que les adultes allaient à la chasse ou à la pêche.

En rentrant ou quand il faisait mauvais, on sortait les jeux de société, ou bien notre mère nous faisait la lecture à haute voix d’un roman qui nous fascinait.

Sans compter qu’à la campagne on avait les labours, les moissons, les vendanges, et qu’on allait garder les vaches, couchés dans le pré avec un brin d’herbe entre les dents.

Le soir on allait souvent assister à la traite des vaches, et parfois nous faisions des bagarres de pis nous arrosant de lait à travers l'étable. Le bon lait de tous les jours que l'on gardait pour notre propre consommation, était le soir même mis à bouillir, et le lendemain matin nous nous régalions d'une bonne crème étalée sur du pain grillé.

Une fois tous les quinze jours on sortait la baratte pour faire le beurre, et à quatre heures nous dégustions le babeurre dont nous raffolions.

Et puis les jours ou on tuait le cochon, ceux où la batteuse venait s’installer*, la nuit de la Saint Jean où l’on faisait un grand feu sur le point le plus haut des coteaux de la Garonne d’où on pouvait voir tous les autres feux dans la plaine, on rejoignait le jour au jour par dessus cette nuit la plus courte de l’année, et l’on dansait, sautait par dessus le feu, nuit folle... garçons et filles, les chansons et le bon vin, un ou deux musiciens...

Bon, c’était un petit brin de nostalgie, mais il me semble que tout cela est encore possible, seulement on ne nous y incite plus guère, notre monde de consommateurs nous oriente sans cesse vers des loisirs consommables et individuels... Et encore! si on en a le temps et les moyens... Peut-être avec le retour progressif des citadins à la campagne?

Les citations sont tirées de "Du bon usage de la lenteur" de Pierre Sansot.

*A propos de batteuse...Prévert et les Frères Jacques:

http://www.unjourunpoeme.fr/poeme/la-batteuse

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