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Je me souviens....

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Billet de blog 18 octobre 2010

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La maison qui surveille la mer

 Je me souviens de l’ArmorQuand la mer se retire de l’anse et s’en va loin vers le Nord, la maison se retrouve juchée sur un absurde promontoire.

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Illustration 1


Je me souviens de l’Armor


Quand la mer se retire de l’anse et s’en va loin vers le Nord, la maison se retrouve juchée sur un absurde promontoire. L’anse devient alors un grand baquet vide, fond plat de sable humide et dense. Elle a la taille d’un hippodrome. Chaque été, un week-end durant, aux marées les plus basses, l’on y organise d’ailleurs des courses de chevaux.


Ils se sont assis au bord de l’estran. Tournés vers l’ouest, ils regardent la maison et, derrière elle, le disque rouge du soleil qui descend, très loin, tout là-bas, sur la région des abers.


OOOOO


La plupart du temps, lorsque les marées sont normales, la maison est presque cernée par l’eau. Alors, elle regarde vers le large. Vigie tutélaire qui observe le lit mouvant des vagues et qui guette les voiles hostiles dont l’approche exigerait qu’elle alarmât les villageois.


Elle ne ressemble pas à ces maisons bretonnes, basses, trapues et blanches, tapies sous leur toit d’ardoises. Elle est plus haute: un étage de plus et des combles aménagés. On ne lui trouve pas non plus les deux cheminées courtes et larges, à chaque bout du toit, comme on les voit sur les tableaux de Gauguin et sur les cartes postales. Sa cheminée est si haute et si fine qu’elle semble s’accrocher, de peur de tomber, à la mince tige de son paratonnerre. Peut-être même la maison est-elle flanquée d’une tourelle.


Quand les marées montent jusqu’à elle, elle domine la mer.


Ce soir, perchée là-haut, elle ne surplombe plus rien. Elle n’est qu’une ombre dressée qui, dans la lumière orange du couchant, accroche à sa silhouette des trainées de nuages effilochés, pavillons noirs de pirates. Ce soir, elle serait repaire de naufrageurs.


OOOOO


Au début du spectacle, le jeune garçon s’est assis à quelque distance de la femme. (Une manière qu’ils ont, les gamins, d’affirmer leur indépendance). Dans la nuit qui s’approfondit derrière eux, des bruits se font entendre. Quelqu’un tire la porte métallique d’un hangar. Tout près, de lourds maillons de fer sonnent les uns sur les autres, traînés sur une jetée de bois. Un peu plus loin, des galets roulent sous une barque que l’on hale au sec. Tournant la tête lentement, le garçon lance un regard vers la femme. Elle semble si absorbée dans la contemplation du ciel qu’elle ne remarque pas qu’il se rapproche.


Une lumière s’allume dans les combles de la maison. Sa couleur est celle du couchant, un orangé qui se rouille désormais. Ils ne ferment jamais leurs volets, se dit la femme. Elle éprouve le sentiment que cette pensée est très juste, surtout ce soir.


Une nouvelle lumière apparaît à l’étage intermédiaire, puis une autre au rez-de-chaussée, un peu plus tard. Maintenant l’on dirait que des éclats du soleil mourant transpercent la maison.


La femme sent le garçon s’appuyer contre sa hanche. Elle passe son bras autour de ses épaules.
- Dis, maman, tu crois qu’elle est...


Elle le coupe.


- Quoi donc, mon garçon?


- La maison, tu crois qu’elle est...


Un nouveau bruit de chaines agitées couvre la fin de la question et la réponse. La femme serre un peu plus fort l’épaule du gamin.


Elle frissonne... Dans les plis du vent?

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