Billet de blog 20 septembre 2009

Jean-Louis Legalery (avatar)

Jean-Louis Legalery

professeur agrégé et docteur en anglais retraité.

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La mi-temps

De 1956. J'avais sept ans et je devenais, pour la première fois, jeune spectateur d'un spectacle qui me fascinait et me faisait rêver, un match de football, avant d'en devenir acteur par tous les échelons de mon club, l'AS Saint-Etienne, de la catégorie benjamins jusqu'aux juniors.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De 1956. J'avais sept ans et je devenais, pour la première fois, jeune spectateur d'un spectacle qui me fascinait et me faisait rêver, un match de football, avant d'en devenir acteur par tous les échelons de mon club, l'AS Saint-Etienne, de la catégorie benjamins jusqu'aux juniors. La première mi-temps fut à la hauteur de mon rêve et de mes espérances, mais, cinquante-quatre ans plus tard, ce qui est toujours gravé dans ma mémoire, c'est ce que je vis et entendis pendant la mi-temps.

Il y eut, d'abord, les annonces publicitaires du speaker, selon le bon français en usage à l'époque. Annonces d'abord désuètes et ridicules : Ils ont mangé du lion ? Non ! Du chocolat ! Du chocolat Menier évidemment ! Au-delà de l'étrangeté du message sur les pouvoirs présumés du chocolat sur les performances sportives, le petit garçon de sept ans avait du mal à comprendre pourquoi la consommation de chocolat, fondée, d'ordinaire, sur la modération, faisait l'objet d'un si mystérieux encouragement ici. Annonces totalement décalées, ensuite, et, aujourd'hui, classées politiquement incorrectes : Gitanes ? La cigarette des sportifs ! Mais le pire était à venir.

Une fois les messages commerciaux terminés, entra, dans cette tribune latérale, un homme grand, légèrement voûté, qui avait de toute évidence, perdu l'usage d'un œil, et dont le teint montrait qu'il était né, apparemment depuis assez longtemps, sous des cieux plus cléments, vraisemblablement, ceux du Maghreb. Il portait, à l'aide d'une large lanière de cuir, un panier rempli de sacs de cacahuètes qu'il venait vendre. Ses vêtements étaient usés. Son arrivée déclencha un déchaînement bruyant et terrifiant.

Ce fut une pluie de quolibets. Les spectateurs le tutoyèrent, le moquèrent en l'appelant "monzami", en le couvrant d'un invraisemblable mépris. On m'avait toujours appris que l'on s'adresse à quelqu'un en disant "monsieur", en le vouvoyant et en montrant du respect, surtout s'il s'agit d'un aîné. Je ne vis et n'entendis rien de tout cela, parmi ceux qui m'entouraient. Et ce que je vis et entendis me glaça. L'homme continua sa vente avec un courage et une noblesse d'attitude peu commune. Cette activité était évidemment vitale pour lui, et, il tentait d'arborer, poliment, un tout petit sourire qui lui servait de bouclier.

Le très amer paradoxe est qu'il y avait, à cette époque, sur la pelouse, un homme né dans la même zone géographique que lui, un virtuose adulé, ovationné, Rachid Mekhoufli, membre de la première équipe championne de France en 1957, un modèle pour tous les jeunes du club, un individu doux, aimable et gentil, comme cet homme qui vendait des cacahuètes, pas du tout le genre à aller donner un coup de tête au premier Italien venu. Si Rachid avait dû gagner sa vie autrement, il serait, indubitablement, devenu, en tribune, "monzami". L'excellent Mustapha Dahleb, ex-gloire du PSG, racontait, un jour, comment il était une idole au Parc des Princes, et, dès qu'il prenait le métro, faisait l'objet des pires insultes racistes.

J'ai toujours adoré le football, mais j'ai toujours cordialement détesté le supporter moyen, qui, objectivement, a toujours tout fait, depuis, pour conforter mon aversion. Lorsque l'on a sept ans, on ne mesure encore pas très bien ce qui se cache derrière le concept de racisme. En revanche, on peut ressentir une grossièreté, une impolitesse, une injustice et on sait ce que c'est. C'est pourquoi jamais je n'oublierai cette mi-temps de 1956.

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