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Je me souviens....

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Billet de blog 21 juin 2009

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Je me souviens du premier texte "littéraire" que j'ai écrit...

Je me souviens du premier texte "littéraire" que j'ai écrit ; ou, plus exactement, je me souviens d'avoir compris que ce que j'étais en train d'écrire relevait bien de la littérature - jusqu'à présent ce que j'écrivais, comme tout bon petit élève, n'était que la répétition plus ou moins habile, de ce que j'avais lu et l'obéissance appliquée aux consignes des professeurs.

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Je me souviens du premier texte "littéraire" que j'ai écrit ; ou, plus exactement, je me souviens d'avoir compris que ce que j'étais en train d'écrire relevait bien de la littérature - jusqu'à présent ce que j'écrivais, comme tout bon petit élève, n'était que la répétition plus ou moins habile, de ce que j'avais lu et l'obéissance appliquée aux consignes des professeurs. Et là, en un instant, j'entrais dans un monde nouveau, celui du mensonge le plus éhonté - je ne connaissais, à l'époque, ni Aragon ni son "mentir-vrai" je n'avais pas le ridicule de me croire "créateur", j'avais 14 ans et le mot "mensonge" est le seul qui me soit venu à l'esprit.

Les sujets de rédaction que nous avait proposés Monsieur Soubie, le prof de français des troisièmes, ne brillaient pas par leur originalité : "A l'occasion de la Fête des Mères, vous écrirez une lettre à votre maman." Le genre de truc que je détestais. En plus, un garçon de la classe avait perdu sa mère, quelques mois auparavant, il allait pouvoir raconter ça et tirer des larmes à tout le monde, j'en étais sûr, et surtout à Monsieur Soubie qui, sous des airs revêches et bourrus cachait, un coeur facilement émotionnable. Impossible de rivaliser avec lui, je savais que le prof ne pourrait pas faire autrement que de lui donner la meilleure note. Il fallait absolument trouver une manière de compenser ce désavantage.

Heureusement, il y avait un second sujet : "Vous raconterez l'aventure qui vous est arrivée entre votre maison et le Lycée." Entre la maison et le Lycée ? mais il le faisait exprès ...j'habitais en face du Lycée, de le fenêtre de ma chambre je voyais l'horloge de la façade qui me prévenait que je n'avais plus que trois minutes pour être à l'heure. Qu'est-ce que vous voulez qu'il m'arrive en trois minutes ? je ne m'en sortirai jamais.

Trois minutes, cent mètres à peine - c'est cela qu'il fallait changer, le temps et l'espace, pour qu'ils puissent servir de cadre à une aventure. Aventure ? faut voir : un enlèvement ? trop gros. Le sauvetage d'un petit enfant en danger ? trop boy-scout. Une histoire d'amour avec une gamine adorable, entrevue derrière un rideau qui se soulevait, dont je découvrirai qu'elle est handicapée ? de très mauvais goût, Monsieur Soubie était lui-même handicapé - il lui manquait un doigt à la main droire, cela m'impressionnait beaucoup.. Rien de tout cela ne pouvait faire le poids face à "lettre à une maman qui vient de mourir". Je rêvassais sur un itinéraire un peu conséquent. Les rues que je parcourais se remplissaient au fur et à mesure de silhouettes familières - le boulanger qui livrait son pain, le cheval qui tirait la charrette du marchand de légumes que le moindre klaxon terrorisait au point qu'il aurait pu verser dans le caniveau les carottes, les salsifis, les artichauts si le vieux Julien n'avait su trouver les mots pour le rassurer, le livreur de glace qui portait sur son épaule, protégée d'une épaisse toile de jute, un pain de glace rectangulaire qu'il avait dégagé d'un coup de pique précis de la banquise que transportait son camion. Oui, oui, tout cela était très bien, mais ce n'était qu'un décor. Il manquait un vrai personnage. Et, tout d'un coup, je l'ai vu, une petite vieille qui tenait une minuscule échoppe où elle vendait quelques journaux et des illustrés que je lisais avec une délicieuse culpabilté, des sucreries collantes aux couleurs criardes ; entre elle et moi, une amitié naissait, je m'arrêtais toujours pour parler avec elle, pour feuilleter Tarzan ou les Pieds Nickelés, et c'est elle qui me grondait, tu vas être en retard, petit, va vite. Un matin, je trouvais l'échoppe fermée. Cela suffisait pour suggérer que ma vieille amie était morte. Pas d'apitoiement. C'était fini.

Résultat : comme prévu, l'orphelin avait la meilleure note et moi j'étais ex aequo..

Est-ce cela qui a décidé de ma vocation d'écrivain ? je n'en sais rien et le fait d'avoir une bonne note en rédaction ne signifie rien, bien sûr, mais j'y repense souvent.

Post-scriptum : ce texte a eu quelque peine à voir le jour sur cette édition. Pour une raison que j'ignore, mais qui doit être liée à une erreur de manipulation de ma part, il est apparu comme lien Web et quand on cliquait sur le dit-lien on se retrouvait...sur la une ! Merci à Vincent, à Grain de sel qui m'ont aidé à le récupérer. Du coup, j'ai changé quelques détails, corrigé quelques fautes...

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