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Je me souviens....

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Billet de blog 22 février 2013

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je me souviens de Rimbaud

Je me souviens de Rimbaud. Arthur ? non,  je ne suis quand même pas si vieux. Mais de ces adolescents solaires, dont je garde encore le nom dans ma mémoire, qui m'apportaient, avec timidité, leurs poèmes, calligraphiés sur un papier au grain de parchemin, reliés dans un carton un peu fort qui ne tenait que par un fil ou sur des feuilles volantes glissées dans une chemise bleu.

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Je me souviens de Rimbaud. Arthur ? non,  je ne suis quand même pas si vieux. Mais de ces adolescents solaires, dont je garde encore le nom dans ma mémoire, qui m'apportaient, avec timidité, leurs poèmes, calligraphiés sur un papier au grain de parchemin, reliés dans un carton un peu fort qui ne tenait que par un fil ou sur des feuilles volantes glissées dans une chemise bleu.

Illustration 1

Ils y parlaient d'amour, beaucoup, d'amour flétri, déjà ; de matinées où la lumière jouait, au travers des persiennes, à faire apparaître, entre les draps froissés, une peau dorée ; de promenades solitaires dans les vignes rougeoyantes de l'automne ; d'ivresses dont je ne savais pas toujours par quelle passerelle ils y étaient parvenus. Ils essayaient les mots et leurs rencontres, leurs échos étranges, la simple beauté de leur sonorité, ils mêlaient, sans se poser de questions, l'argot le plus vulgaire aux préciosités les plus raffinées, les enluminures médiévales aux naïvetés empruntées à des chansons anglaises, ils inventaient des rythmes à décoiffer le corps professoral et riaient de leurs réussites, ils pratiquaient, et n'en avaient aucun complexe, le plagiat et le démarquage le plus éhonté - je savais vite quelle était leur dernière lecture - et s'en tiraient par une pirouette.  ou un pied de nez. Ils n'étaient pas toujours sérieux.

        Je me souviens de ces offrandes que je recueillais avec émerveillement - car je n'avais pas la fibre poétique quand j'avais dix-sept ans et aurais trouvé du dernier ridicule d'aller montrer à un professeur les balbutiements que je tenais farouchement secrets - ; et même si j'y percevais quelques maladresses, je me gardais bien de leur en faire reproche, tant je tenais à ne pas brider l'élan qui les faisait ainsi caracoler dans la verte prairie des mots. Et je pensais à Georges Izambard :" Je vous envoie des vers ; lisez cela un matin, au soleil, comme je les ai faits ; vous n'êtes plus professeur, maintenant, j'espère...", lettre  d'Arthur du 25 août 1870. Et je me demandais si j'étais digne de l'abandon où ils se laissaient voir. Et je tremblais à l'idée qu'un mot maladroit puisse les détourner, à jamais, de la voie où il me semblait qu'ils s'engageaient.

       Que sont-ils devenus ? je ne sais plus rien d'eux que par des bruits très vagues. L'un ferait du fric, jaurais dû m'en douter. L'autre s'est perdu - pendu, peut-être. Le troisième enfin, celui que j'ai le plus aimé, est trop loin maintenant pour que je  puisse le suivre. - mais il est le seul à croire encore au pouvoir des mots.

      Je me souviens de mes Rimbaud.

Illustration 2

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