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Billet de blog 22 juin 2011

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Je me souviens quand on tuait le cochon

Nous étions les «pitchouns», et nous attendions ce jour là avec impatience, c'était pour nous jour de fête, même si ça n'était pas vraiment un jour de fête. C'était un jour qui faisait partie du cycle annuel des activités de la campagne, au même titre que les labours, les moissons, les foins ou les vendanges.

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Nous étions les «pitchouns», et nous attendions ce jour là avec impatience, c'était pour nous jour de fête, même si ça n'était pas vraiment un jour de fête. C'était un jour qui faisait partie du cycle annuel des activités de la campagne, au même titre que les labours, les moissons, les foins ou les vendanges. Il ne s'agissait pas, comme on a tendance à le penser quand on se remémore ces temps là, d'une tradition, mais d'une activité de subsistance. On tuait le cochon pour faire des conserves qui nous permettait de tenir le long hiver où l'on n'avait ni fruits ni légumes frais.

Ca se passait au début du mois de novembre aux alentours de la St Martin et nous en profitions jusqu' l'été. Ce jour là on se levait tôt, car la viande de porc ne se conservait pas longtemps, d'autant que nous n'avions pas encore de frigidaire; il fallait tout réaliser en moins de deux jours.

Dès potron minet, après avoir bu le café, les hommes se dirigeaient vers la porcherie avec une grande bassine et un grand couteau bien affûté, pendant que les femmes s'affairaient à la cuisine préparant les ustensiles, les hachoirs, les pots pour les conserves...

Arrivés à la porcherie, c'était pour nous les mouflets un moment terrible, mais la curiosité l'emportait sur la peur, et nous suivions tout ça fascinés. Des hommes et des femmes du voisinage venaient ce jour là prêter main forte. Les cinq hommes les plus costauds faisaient alors sortir l'animal de sa bauge. C'était un verrat qu'on avait engraissé tout au long de l'année et qui approchait ses quatre cent kilos. Autant vous dire qu'il était puissant et hargneux. Les cinq hommes le faisaient se coucher sur le côté et le maintenaient difficilement au sol, qui enserrant les pattes, qui tenant solidement la tête. La bête bien sûr hurlait, poussait des cris de goret qui nous faisaient frissonner et nous arrachaient les oreilles.

Alors, le pater familias prenait la bassine qu'il déposait sous le cou de la bête, et sans tergiverser il la saignait en lui tranchant la carotide avec le grand couteau, et le sang aussitôt de gicler et de couler dans la bassine, et les cris du cochon de s'atténuer peu à peu jusqu'à ce que mort s'en suive.

Bien sûr j'étais trop petit pour avoir ces idées, mais maintenant ça me fait penser à ce que devaient être les sacrifices aux dieux dans l'antiquité, sauf que notre porcherie était loin de ressembler à un temple!

Pas le temps de s'apitoyer, il fallait immédiatement avec un fouet battre le sang pour qu'il ne coagule pas, et on l'emmenait aux cuisines où il servira plus tard à faire le boudin.

Ouf! Pour nous le plus dure était passé... On hissait alors à grand peine l'animal sur une petite charrette et on l'amenait à la forge.

La forge à cette époque là était un endroit indispensable de la vie à la ferme; c'est là qu'on fabriquait et réparait les faux, les faucilles, les socs de charrue, les fers à cheval... toutes les pièces métalliques nécessaires à la vie agricole. Le choix de la forge était évident car c'est là qu'on pouvait faire bouillir de grandes quantités d'eau pour le nettoyage de la bête. De grandes lessiveuses étaient posées sur le charbon rougeoyant qu'attisait un soufflet activé par une manivelle. Un grand bac en bois monté sur pieds trônait au milieu de la forge, et on y faisait glisser l'animal. On l'aspergeait d'eau bouillante et aussitôt on le frottait avec des racloirs, à la fois pour nettoyer sa peau et pour la débarrasser de ses soies. C'était la toilette du cochon.

Ensuite, une fois propre du groin à la queue et aux pieds, on le re-hissait sur la charrette pour l'amener au chai. Le chai, comme chacun chai, est l'endroit où l'on fait le vin. Il avait l'avantage, outre de nous permettre de s'en jeter un derrière la cravate, d'être haut de plafond et on pouvait sans peine y suspendre le cochon à laide de palans. Ca donnait le fameux "cochon pendu" que nous pratiquions sur les barres fixes ou les trapèzes.

Une fois suspendu par les pattes arrières, il ne restait plus qu'à l'éventrer et à faire tomber à terre tripes et boyaux qui partaient aussi sec vers le lavoir où les femmes les vidaient et les nettoyaient à grande eau.

Les premiers morceaux découpés étaient des pièces de gras qu'on apportait à la cuisine pour la fabrication du boudin. Le gras une fois haché était mélangé au sang puis assaisonné et enfin entonné dans les boyaux propres.

Sur le coup de midi on s'installait tous à la cuisine pour manger les côtelettes, arrosées de la bonne piquette qui dormait au chai (c'était vraiment de la piquette, que nous faisions nous même en septembre; une fois tirée pour le repas de midi il fallait la boire car elle ne tenait pas jusqu'au soir : "quand le vin est tiré il faut le boire!").

Et l'après midi on ne chômait pas, tous les morceaux découpés partaient à la cuisine où se préparaient les confits, les saucissons, les jambons bien entourés de sel, les pâtés de foie, les tripes... et le saindoux qui servirait toute l'année à faire la cuisine. Toutes ces conserves étaient entreposées à la dépense, une pièce à côté de la cuisine avec une toute petite fenêtre pour l'aération et des armoires grillagées pour protéger la nourriture des insectes.

Voilà, dans la nuit qui suivait, les cochons remplaçaient les moutons pour nous endormir... Le cochon qui sommeille ?

©Illustration Appalaches

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