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Billet de blog 22 août 2014

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les devoirs de vacances

Je me souviens des devoirs de vacances - et de l'injustice qu'il y avait à associer deux termes à ce point antithétiques - comment se faisait-il qu'après avoir chanté "vive les vacances ! à bas les pénitences ! les cahiers au feu, la maîtresse au milieu !", cet hymne à la liberté de l'été, au plaisir de ne rien  faire que rêver, courir, lire, nager, chercher des champignons, grimper aux arbres, on  se retrouve à nouveau pris au piège des déclinaisons latines, des conjugaisons des verbes irréguliers espagnols,  des problèmes de géométrie ou de ces abominables 'faux amis' anglo-saxons ?

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Je me souviens des devoirs de vacances - et de l'injustice qu'il y avait à associer deux termes à ce point antithétiques - comment se faisait-il qu'après avoir chanté "vive les vacances ! à bas les pénitences ! les cahiers au feu, la maîtresse au milieu !", cet hymne à la liberté de l'été, au plaisir de ne rien  faire que rêver, courir, lire, nager, chercher des champignons, grimper aux arbres, on  se retrouve à nouveau pris au piège des déclinaisons latines, des conjugaisons des verbes irréguliers espagnols,  des problèmes de géométrie ou de ces abominables 'faux amis' anglo-saxons ?

Je me souviens de mon sentiment de stupéfaction devant ceux de mes camarades qui, dès l'école terminée, se précipitaient acheter les fameux cahiers aux couleurs aguicheuses qui tentaient d'en faire oublier le contenu. Des malades, des pervers ! Moi, il fallait m'y traîner. J'y ai gagné une dent durable pour tout ce qui prend la forme du devoir qu'une puissance extérieure vous impose tout en s'en abstenant, bien sûr, quant à elle.

                                              Ce devait être entre  la cinquième et la quatrième. L'année avait été difficile. Pas question de couper à la corvée de l'heure de travail quotidien. Il fallait envoyer, chaque semaine, une ou deux versions latines, quelques problèmes de maths qui nous étaient réexpédiés corrigés par des professeurs "extrêmement qualifiés". Cet été-là était flamboyant. J'arrivais assez bien à préserver mes matinées - les adultes avaient d'autres chats à fouetter ; l'après-midi, ils faisaient la sieste et moi des bêtises dans le jardin. Tout le monde se retrouvait, petits et grands, sur la plage, jusqu'à l'heure du dîner - il faisait si bon. Et ce n'est qu'après-dîner qu'on se souvenait des devoirs de vacances - tu as fait tes devoirs ? il était inutile de mentir, l'aveu de ma paresse ne passait que si je promettais de m'y mettre une bonne fois pour toutes, dès le lendemain.

                                                 Je gémissais que je n'y arriverai jamais tout seul. Que je n'avais jamais rien compris aux problèmes de géométrie. Que les versions latines étaient beaucoup plus difficiles que celles que me donnait mon vieux prof.  La famille finit par s'attendrir de mon désespoir et, lorsque la date arriva où il fallait, de toute urgence, expédier le fruit de mon labeur estival, elle se retrouva autour de la table de la salle à manger où je séchais sur mes problèmes et chacun y alla de son conseil. Mes oncles et tantes qui avaient gardé quelque teinture de latin n'hésitèrent pas à revisiter les fragments du De viris illustribus - ils n'étaient jamais d'accord, ce qui n'était guère rassurant, et l'on finit par s'arrêter au plus probable ou à sauter carrément le passage trop hermétique ou à faire confiance à celle qui était la plus universitairement titrée. Pour les maths, il n'y avait que mon père - il avait échoué à Polytechnique, certes, mais pour des problèmes du niveau de la cinquième, il savait s'en tirer en un  tour de main - j'étais éperdu d'admiration. Je ne savais pas vraiment comment il s'y était pris - le cher homme n'était guère pédagogue -, mais l'essentiel était que le problème fût fait.

                                               Les résultats furent catastrophiques - 5 en version latine - 1 point par personne ! et une copie non notée en maths parce que le problème avait été résolu, certes, mais par une méthode et des théorèmes que je n'étais pas censé connaître à mon niveau. Comment, dès lors, faire encore confiance aux adultes, après une telle humiliation ? Il a bien fallu que je m'y mette tout seul - eux ne me proposaient plus une aide que je ne sollicitais pas non plus.

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