Billet de blog 24 mai 2015

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Je me souviens, c'était en 1964

Je me souviens, c'était en 1964, je le sais parce que c'est l'année de création de la chanson "non ho l'eta", j'avançais doucettement vers mes onze ans.  

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Gigliola Cinquetti - Non Ho L'Età - Eurovision Song Contest Winner 1964 (original performance) © 1947dave

Je me souviens, c'était en 1964, je le sais parce que c'est l'année de création de la chanson "non ho l'eta", j'avançais doucettement vers mes onze ans.  

C'était jour de ducasse dans mon quartier.

Les adultes présents attendaient à la buvette pendant que les enfants piaillaient dans tous les coins, se demandant où ils allaient bien pouvoir dépenser leurs quatre sous. Course en sac, mât de cocagne enduit de savon noir, pêche miraculeuse, un ou deux manèges, jeux de massacre … les enfants étaient à la fête, normal c'est la ducasse, c'est fait pour ça.

Ma mère m' avait découpé les paroles de la chanson dans je ne sais quel journal. C'était une des chansons à la mode, eurovision oblige et elle savait que ça me ferait plaisir d'en avoir le texte, moi qui passais mon temps à fredonner toutes les chansonnettes qui passaient par mes oreilles. Elle ajouta « e perchè non te a canti a 'la ducass (prononcer doucass) ?  :  pourquoi tu ne la chanterais pas à la ducasse ? ».

J'ai accepté, bien que ce soit une chanson de « fille », mais j'avais tout de suite pris conscience qu'avec ma petite voix d'avant la mue j'aurais eu du mal à chanter « una lacrima sul viso ». J'aurais bien voulu pourtant…

Me v'la donc sur l'estrade, seul comme Boby que je me dis d'un seul coup, devant un micro pour la première fois de ma vie, face à une foule immense d'au moins trente voire quarante personnes ! C'est drôle comme avant de monter on ne se rend pas compte de la foule qu'il peut y avoir. 

Avant même de commencer, premier problème, faut déjà baisser le micro. C'est un geste technique s'il en est, qui s'est avéré plus ardu qu'il n'y paraissait.

Quand enfin, avec l'aide de l'animateur, j'arrive à passer mon regard au-dessus de cette drôle de perche capricieuse et qu'elle retrouve son équilibre, je reste bouche-bée … et totalement silencieux : une espèce de boule, de grosse boule, s'est formée au niveau de ma gorge et ne veut pas en partir … Le meneur de l'orchestre chargé de l'accompagnement, en grand professionnel m'encourage à commencer, reprend l'intro et … je réussis enfin à avaler cet affreux machin. Le problème c'est que la déglutition qui a accompagné l'affaire a été quelque peu bruyante, collé que j'étais au micro, résonnant en écho affreux et sifflements interminables dans les haut-parleurs.

Je n'avais plus qu'une idée en tête, descendre au plus vite du podium et je n’eus d'autre solution que de chanter vite fait la chanson avant de disparaître pour méditer sur l'infortune des vrais grands artistes.

La belle brunette (qui avait mon âge) aux longs cheveux bouclés et au prénom chantant l'Italie qui a gagné le "radio-crochet" avait chanté la même chanson que moi, mais elle s’accompagnait elle-même à l'accordéon : une fille, un accordéon, la partie était inégale !

Je n'ai rien dit de tout ça chez moi. J'ai juste ramené, fier comme Harpagon la bouteille d'affreux mousseux offerte au second.

Vin de piètre qualité, sucré à l’excès, mais comme tous les vins de son espèce qui font pétiller les pupilles des convives autant que les bulles dans les verres, avec plein de bon souvenirs qui éclatent parfois longtemps après encore.

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