
Marseille, Barcelone, Bordeaux. Ces ports avaient leurs odeurs, leurs atmosphères remarquables. Mais moi, ce que j'aimais, c'est les ports du Nord. Les ports du Nord sentaient le sel, l'iode et le fuel et un vague fumet putride. La nuit, la lueur blafarde de la lune jointe à celle faiblarde des candélabres éclairait chichement les bassins peuplés de ces cargos fantômes arrivés pour quelques jours. Les marins visitaient ces villes septentrionales, se mêlaient à la population locale, peuplaient les bars, claquaient leur paye puis, repartaient pour des destinations lointaines : Djeddah, Buenos-Aires, Santiago de Chile, San Francisco.
Le Havre, le port le plus au sud de ce Nord très certainement blême au yeux de mes chers amis du midi : Dunkerque, improbable citadelle flamande de ce pays dit latin et ses quais pavés de bleu, luisant sous les averses venues du sud-ouest ; Rotterdam et ses innombrables hangars anonymes jouxtant des centaines de grues, naines de fer, tours Eiffel des dockers. Et le port d'Anvers, si proche du centre briqueté de la capitale de la Flandre belgique, proprette bourgeoise prospère, jadis fleuron de l'empire espagnol.
Brel a chanté le port d'Amsterdam ? Désolé, mais les marins n'y mangent plus de poissons ruisselants ni de frites. Les porte-conteneurs ne leur en laissent plus le temps. Plus d'accordéon, plus de frottement de panse, plus de Batave ramenée à la pleine lumière. Aussi vite arrivé, aussi vite déchargé. Aussi vite parti.
Les bars à marins n'existent plus, ni au Havre, ni à Dunkerque, ni à Anvers, ni à Amsterdam, ni à Rotterdam. Restent la nuit blafarde et les quais mouillés par la pluie du nord, et le rêve...
On s'écoute Suzy Solidor ?
« Et si je ne sais pas son nom
Je connais celui du navire
Un navire qui s'est perdu
Quant aux marins, nul n'en peut plus
Rien dire... »
https://www.youtube.com/watch?v=PtyrVquCYv4