Billet de blog 27 mars 2015

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AVANT LE SIDA

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Comment je vais l'écrire ce billet ? Le SIDA, c'est pas un sujet dont on rigole. Sur ce blog collectif « Je me souviens », faut remuer sept fois son clavier sous ses doigts avant de poster. Faut faire rire (un peu), nostalgier (beaucoup, et c'est bien) mais faut de la tripe, du coeur et ça, c'est bien aussi. Sur « Je me souviens », y'a des profs, des intellos, des vieux comme moi (beaucoup) des jeunes (moins nombreux, mais faut être patient) et des purs fruits de l'échec scolaire dans mon genre. Bon. Venons en aux faits.

Ma fille, qui, aujourd'hui, approche la quarantaine, m'avait bien fait rigoler, un jour de l'année 1988, alors qu'elle n'avait que 9 ans. Se réveillant, un de ces sombres matins de décembre, gris et sinistre, elle était patraque, mal réveillée, elle nous dit, à mon épouse et moi-même, autour du Ricoré de rigueur : « punaise, je me sens pas bien, je dois avoir le SIDA. »

Sur ce, le petit déjeuner avalé, je l'ai emmenée à l'école, et suis parti à mon taf de prospecteur-placier, de l'ANPE, qui consistait déjà à l'époque, à convaincre les gens qu'ils avaient toutes les chances de trouver un emploi introuvable, ce qui est, vous en conviendrez, plus proche de la filouterie que d'un commerce honorable. J'ai vécu d'un métier de charlatan pendant 32 ans dans cet Établissement et celui qui a suivi, Pôle Emploi, je vous le dis, mais je sais que ça restera entre nous. Foin de digression. Allons au fond des choses !

C'est le soir de ce jour de décembre que je me suis rendu compte que, télés et radios associées, martelant sans cesse les ravages de cette maladie nouvelle, inconnue, incurable avaient fait prendre conscience à ma fille, bien avant moi, qu'un drame mondial se jouait. Les victimes du SIDA tombaient comme des mouches, d'autant que nombreuses étaient les célébrités (aujourd'hui, on dit les « people ») qui y succombaient.

Dans ces années là, on parlait de la maladies des pédés. Réactionnaires et religieux de tous poils étaient d'accord : « bien fait pour leur gueule, ils n'ont que ce qu'ils méritent. » Ces cons n'ont d'ailleurs pas changé d'avis.

Élevé dans un monde de progrès, ou j'ai bénéficié, comme tout le monde de la scarification tuberculinique, je ne pouvais imaginer l'apparition d'une nouvelle maladie plus terrifiante que la tuberculose. Je découvrais que le pire était possible et que le monde protégé dans lequel je pensais vivre n'était plus à l'abri de nouvelles catastrophes sanitaires. Au même moment où je commençais ma carrière de conseiller à l'ANPE, alors que le chômage se rappelait à notre souvenir.

D'accord, il n'y a pas de lien entre le SIDA et le chômage. Mais les deux phénomènes sont étroitement liés dans ma mémoire. Je n'y peux rien. C'est comme ça. L'insécurité était de retour, après une jeunesse vécue dans la foi du progrès industriel et social.

À Michel Foucault.

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