Le boucher chez qui mon grand-père avait l'habitude de faire ses courses, chaque semaine, rue François Miron était un homme travailleur et discret. La gentillesse qu'il me témoignait chaque fois, en m'offrant de larges tranches de saucisson, n'empêchait pas la peur que produisait sur moi la vue d'une blouse de travail, maculée de sang qu'il avait la mauvaise habitude de pendre à ses crochets «de boucher», juste à côté de pans entiers de carcasses de viande à vif.
Du haut de mes sept ans, je me demandais, si avant d'accrocher la blouse, il avait enlevé l'homme qui était dedans.
Ps: Pour l'image des carcasses de viande, se reporter au bœuf écorché de Chaïm Soutine ou au non moins écorché bœuf de Rembrandt.
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
La grenouille en pierre
Agrandissement : Illustration 2
Au milieu de la grande piscine, il y avait une gigantesque grenouille en pierre. Belle, majestueuse et fascinante sculpture "aquatique".
Pour un enfant qui vient d'apprendre à nager, aller jusqu'à elle sans bouée était une odyssée. Il était important de bien calculer son coup. En même temps, quel risque y-avait-il ? Elle avait l'air bien solide cette grande grenouille plantée là au beau milieu de l'eau ! En cas de fatigue, il me suffirait de m'accrocher à elle quelques instants, de reprendre quelques forces, avant de revenir "au rivage". La traversée avait été longue, épuisante et bien sûr, la base de la statue en pente douce n'offrait aucune aspérité, aucun réconfort possible, pire, toute la partie que mes bras pouvait atteindre était recouverte d'une mousse gluante, glissante, "inagrippable". Je me souviens des incroyables tentatives pour pouvoir, sans succès, m'y accrocher un peu. Peine "perdu", au milieu de l'océan.
Le fait même de pouvoir aujourd'hui raconter ce souvenir suffit à dire que je m'en suis sorti vivant. Plus tard, j'ai nagé jusqu'à elle souvent, sans rancune.
