Malgré les tractations politiques sur la voie du dialogue, la répression continue au Honduras. Betti Matamoros, représentante du Frente Nacional Contra el Golpe de Estado, était récemment en tournée européenne pour demander le soutien des mouvements sociaux européens. Rencontre lors de sa conférence à Lausanne du 7 octobre.
Les images sont dures : parallèlement à la conférence de Betti Matamoros, une suite de photos de la répression est projetée sur écran. La représentante du Frente Nacional Contra el Golpe de Estado fait le point sur la situation depuis le coup d’Etat du 28 juin. Le mouvement social représenté par Betti Matamoros comprend des organisations sociales et politiques, des syndicats, des coopératives, des comités de quartiers, des mouvements féministes et indigènes etc. Depuis 3 mois, ce mouvement manifeste dans les rues pour le retour du président déchu Manuel Zelaya, mais surtout pour le respect des droits constitutionnels et humains et la mise en place d’une Assemblée constituante. Les militantes des mouvements féministes, explique Betti, doivent manifester en bande, jamais seules, car pendant les manifestations, une grande violence s’exerce contre les femmes, avec des viols, des tortures.
La volonté d’Assemblée constituante a mis le feu aux poudres au Honduras. Ce genre d’assemblée reprend certains points de la démocratie semi-directe qu’on retrouve en Suisse. C’est en fait la « 4 e urne ». Cette urne aurait permit une consultation citoyenne sur une réforme constitutionnelle. Le projet d’Assemblée constituante suivait les réformes faites en faveur du peuple par le Président déchu Zelaya. Mais en fait, la vraie raison du coup d’Etat serait les réformes sociales entreprises par Zelaya notamment l’augmentation du salaire minimum. [1] C’en était trop pour les oligarques et certaines transnationales US.Essayant de jauger si la conférence à laquelle j’assiste abuse d’une sorte d’antiaméricanisme primaire, je provoque l’auditoire en demandant des preuves de l’implication étasunienne dans le coup d’Etat. En effet, il est de bon ton chez certains altermondialistes de toujours voir la main de Washington derrière toutes les répressions néolibérales, certains seraient même prêts à parier que Bush a ordonné à Sarkozy de supprimer la publicité sur France Télévision en prime time.
La réponse des intervenants m’a plutôt convaincu au point que j’ai senti le malaise d’avoir posé la question. A savoir.
Premièrement, la base militaire étasunienne au Honduras est une des plus puissantes de la région. Située à 97 km de la capitale, la base US de Soto Cano fonctionne depuis 1981. Les conférenciers rappellent qu’elle a joué un rôle clé dans la diffusion de la « contra » nicaraguayenne, force paramilitaire qui luttait contre les mouvements de gauche en Amérique latine sous l’ère Reagan. La base de Soto Cano est en fait partagée entre militaires US et honduriens. Il faut savoir que le Président Zelaya avait décidé récemment de transformer cette base en aéroport civil financé par les fonds de l’ALBA.[2] Il est clair que les USA ne pouvaient pas laisser faire ça.
Deuxièmement, souligne Mme Matamoros, le Honduras est idéalement situé sur le couloir aérien entre les USA et le Venezuela. Le Honduras est donc géo-stratégiquement parlant un point capital en cas d’attaque du Venezuela par l’Oncle Sam.
Troisièmement, soutenir les putschistes permet à Washington de freiner l’unification latino-américaine. Celle-ci se consolide avec plusieurs blocs régionaux, dont l’ALBA, que le Honduras a rejoint sous la présidence de Zelaya.
Enfin, en diplomatie, le poids des mots est capital, l’administration Obama n’a jamais utilisé les termes « coup d’Etat », dans le cas contraire cela aurait obligé Washington à rompre les relations diplomatiques avec le Honduras.
Les putschistes : deux pas en arrière, un pas en avant Ces dernières semaines ont vu le président auto-proclamé Micheletti prendre peu à peu ses distances avec la répression militaire, car il commence à sentir le poids des pressions internationales et sait qu’un jour il devra négocier une sortie honorable.Il essaye de tâter le terrain en faisant les yeux doux à Lula, le Président brésilien. En effet, questionnée sur la position de Lula dans l’affaire, sachant que Zelaya s’est réfugié dans l’ambassade du Brésil à Tegucigalpa, Betti explique que Micheletti est en tractations avec le Président brésilien. Sachant que le Brésil est devenu ce mois-ci la 10e puissance économique mondiale, Lula mène la danse dans la négociation, et les USA sont trop isolés dans ce dossier pour renverser le rapport de force.
Néanmoins, des médias français flairent les « pétrodollars » d’Hugo Chavez derrière le soutien de Lula à Zelaya.[3] Encore plus simplistes que ces altermondialistes qui voient la main de Washington derrière toutes les répressions de la planète, voici les affirmations de ces journalistes mainstream. Ceux-ci, subissant la censure des groupes financiers qui détiennent les médias français, doivent convaincre leurs lecteurs que les pétrodollars d’Hugo Chavez mettent à sa botte tous les régimes réformistes d’Amérique latine. Prendraient-ils les lecteurs pour des idiots ?
Betti Matamoros explique que les maquilas (usines sous-traitantes pour des firmes US installées en Amérique latine) sont très présentes au Honduras. Usines dans lesquelles les salaires sont misérables. Sachant le Honduras est un pays très inégalitaire, Betti rappelle que 80% de la population est pauvre et 35% vit avec moins de 1 dollar par jour. Dans ce contexte, la tentation est grande pour les multinationales US de ne pas renoncer aux bénéfices générés par l’exploitation des travailleurs dans les maquilas. Alors que le pays est riche en ressources naturelles, la majorité de la population vit dans la pauvreté.[1]http://www.michelcollon.info/index.php?view=article&catid=7&id=2321&option=com_content&Itemid=12
[2] http://mai68.org/spip/spip.php?article295
[3]http://www.michelcollon.info/index.php?view=article&catid=7&id=2321&option=com_content&Itemid=12