Un «rodéo urbain» fait les choux gras la presse romande. Mais cette apparente incongruité éditoriale a peut-être bien sa raison d'être...
« Ce qui est bien avec la Suisse, c'est que les voitures cassées dans les courses poursuites c'est pas du n'importe quoi. » Paraphrase d'un commentaire de lecteur sur le site de la Tribune de Genève.
Sur le web, « l'affaire des bolides » a déclenché toute l'éloquence outrée des lecteurs de la Tribune de Genève dès qu'elle a éclatée, il y a quatre jours. Elle faisait aujourd'hui la Une de ce même journal ainsi que celle du Matin.
N'est-ce pas démesuré pour une simple course poursuite qui tourne mal ?
Il est vrai qu'elle est peu banale[1]. Les quatre voitures impliquées représentent une valeur marchande de plus de deux millions d'euros. Les conducteurs sont jeunes. Russes. Riches. L'un deux -celui qui est entré en collision avec la Golf d'un paisible -on va rester dans les clichés- septuagénaire - toujours hospitalisé dans un état grave- était en état d'ébriété. Après l'accident, les as du volant sont venus récupérer leur camarade de jeu avant de se faire la malle. Ce « rodéo urbain » fait aussi figure de point d'orgue après une série d'accidents -impliquant de jeunes conducteurs et de grosses cylindrées- survenus ces dernières semaines dans ou autour de Genève.
Ce qui choque les lecteurs des journaux susmentionnés, c'est la supposée impunité des acteurs de ce drame routier, impunité qui résulterait de leur statut social et/ou de leur argent. Alors que les circonstances de l'accident n'ont pas encore été vraiment élucidées et que la reconstitution tient au témoignage de quelques passants -l'accident s'est produit de nuit, vers 23h30- des commentaires péremptoires voire haineux apparaissent sur les sites webs des deux journaux romands : « Quand est-ce qu'on arrêtera de laisser entrer en Suisse n'importe qui??? » s'exclame ainsi marina01.
Comme un remake de ceux que l'on pouvait lire sur la supposée racaille annemassienne, il y a quelques semaines. Mais ici, c'est une autre racaille qui est fustigée. Une situation qui intéresserait plus d'un sociologue tentant de circonscrire la pertinence du concept.
Mais au-delà d'une récupération d'extrême droite de ce fait divers, de vraies questions se posent quant à l'application de la justice. Me Yvan Jeanneret, spécialiste de la sécurité routière, commentait hier la « lenteur » de la procédure à la Tribune de Genève : «Il y a un risque de fuite et de collusion, c'est étonnant qu'aujourd'hui encore (lundi) ces personnes n'aient visiblement pas été entendues par un magistrat.»
Ce risque est devenu réalité. Les trois chauffards ont quitté la Suisse aujourd'hui à bord d'un jet privé.
La majorité des commentateurs s'en prennent d'ailleurs à cet aspect de l'affaire :
« C'est à vraiment se demander si la justice n'est qu'une parodie pour les Friqués et les mafieux, et l'autre pour le petit peuple qui ramasse la balance de la justice en pleine gueule ! » s'exclame ainsi liberta. Un autre explique les hésitations de la justice par un autre fait divers, devenu fameux : « C'est tout simplement scandaleux. Justice à 2 vitesses ??!!?? L'affaire Kadhafi a sûrement refroidi l'esprit d'initiative de notre police genevoise et de nos autorités. Un sincère raz le bol de ce laxisme pénal pour les fortunés et autres bien nés. »
Les proportions prises par cette affaire, qui renvoie à d'autres problématiques au cœur d'enjeux sociétaux très actuels, ne sont donc pas si incongrues.
[1] http://www.tdg.ch/geneve/actu/rodeo-urbain-questions-reponses-2009-11-23