Ce court billet est une réaction à celui de Thomas Heams, "Usages raciaux de la génétique" (http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/thomas-heams/220708/usages-raciaux-de-la-genetique-importante-declaration). Il s'agit de la traduction d'une déclaration en 10 points faite par des généticiens reconnus. Visiblement très bien intentionnée, la déclaration aussi bien que sa mise en avant me semblent problématiques.
Elle m'a fait pensé à l'Introduction du livre de André Pichot, La Société pure : de Darwin à Hitler, publié chez Flammarion dans la collection Champs. Il y est question de la conférence de presse donnée le 10 octobre 1996 au musée de l'homme par d'éminents biologistes, dont le même Cavalli-Sforza, auteur de la déclaration traduite dans le billet en cause, en réaction aux déclarations de Le Pen sur l'inégalité des races.
La critique est simple, de bon sens, mais profonde. En statuant sur la question du racisme, qu'il s'agisse de la question de l'inégalité supposée des races ou de leur existence même, les scientifiques instaurent la confusion qui permet justement le racisme : la confusion entre ordre social et ordre biologique. Car le racisme, au fond, ne commence pas avec l'affirmation de l'existence de races, ou de la supériorité des unes sur les autres, mais dès lors que l'on veut prétend fonder les valeurs sociales sur des faits biologiques. Qu'il s'agisse de la couleur de la peau, de la taille du nez ou du génome fait peu de différence.
C'est pourquoi mettre en avant cette déclaration des scientifiques est dangereux. Certes, cela peut aider, peut-être, à certaines prises de conscience : effectivement, on a toutes les peines du monde à trouver une consistance biologique au concept de race. Néanmoins, cela conduit aussi à prendre certains réflexes, à instaurer un certain mode de pensée, consistant à réfléchir aux enjeux politiques à partir des données de la biologie. C'est là se laisser entraîner sur une pente glissante. Une pente au bout de laquelle la biologie (sinon les biologistes) a beaucoup à perdre, et en particulier son indépendance : comment viser sereinement l'établissement des faits lorsque ceux-ci décident de l'ordre social ? La preuve en est d'ailleurs donnée par la déclaration elle-même, qui se laisse aller à dicter aux biologistes leur discours : "Nous pressons les chercheurs, ceux qui s'expriment dans les médias, et ceux qui sont impliqués dans des travaux de vulgarisation de contribuer à éviter l'insistance excessive sur la contribution de la variabilité génétique à la variabilité phénotypique". Je ne suis pas généticien. Ce que je connais de la génétique fait penser qu'en effet, la distance est grande - peut-être de plus en plus grande, à mesure que la science se précise - entre génotype et phénotype. Reste qu'il me paraît pour le moins étrange d'avoir à dire aux scientifiques ce sur quoi ils doivent insister. Mais cela est une conséquence logique de la confusion des ordres.
Indéniablement, le concept de race n'a pas de pertinence dans la biologie aujourd'hui. N'oublions pas, néanmoins, qu'il en a eu, et que les sientifiques – au sens plein du mot – racistes ont existé. Les théoriciens du racisme n'ont pas été que des Gobineau, c'est-à-dire des idéologues d'extrême-droite. N'est-ce pas accorder une trop grande confiance à la science que de la laisser décider à la place de la politique, à la place de la morale ? La vérité d'aujourd'hui, c'est trop connu, est l'erreur de demain. Si demain la biologie décrète la pertinence du concept de race, quel que soit son contenu, ou estime légitime de hiérarchiser génétiquement hommes, de manière, par exemple, à rationaliser l'organisation sociale (mais oui, pourquoi ne pas former dès la naissance chacun au métier auquel il est "prédisposé" ?), que dirons-nous ? Comment pourrions-nous alors contester aux scientifiques un rôle que nous leur laissons prendre lorsque, venant au secours d'une démocratie peu sûre d'elle-même, ils affirment l'unité du genre humain?
Toutes ces choses sont des fables, heureusement, mais qui peut prédire que la science sera toujours humaniste ? Elle ne l'a pas toujours été. Alors, prenons garde, ayons confiance en la politique, en la morale, et ayons le courage de fonder la démocratie sur des valeurs, plutôt que sur des faits, même scientifiques.