Billet de blog 16 mars 2010

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Témoignage de Jacques Maury, équipier de La Cimade dans le camp de Rivesaltes, été 1942

L’enfermement administratif existe en France depuis la fin du XIXème siècle. Cette mesure consiste, pour l'administration, à priver un administré de la liberté d'aller et venir en dehors de toute poursuite pénale. Depuis sa création, en 1939, La Cimade s'est positionnée contre l'enfermement administratif, et a cherché à créer des solidarités avec les "indésirables" de chaque époque, en les accompagant "dedans" et en témoignant "dehors".

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’enfermement administratif existe en France depuis la fin du XIXème siècle. Cette mesure consiste, pour l'administration, à priver un administré de la liberté d'aller et venir en dehors de toute poursuite pénale. Depuis sa création, en 1939, La Cimade s'est positionnée contre l'enfermement administratif, et a cherché à créer des solidarités avec les "indésirables" de chaque époque, en les accompagant "dedans" et en témoignant "dehors".

Ainsi, dès 1940, La Cimade était présente dans de nombreux camps d'internement du sud de la France dont ceux de Gurs et de Rivesaltes. Le 30 janvier 2010, La Cimade est revenue à Gurs, où Jacques Maury, président d'honneur, a livré un témoignage particulièrement émouvant.

"Ce que je peux faire de plus significatif sur l'histoire de La Cimade, c'est de m'en tenir à un souvenir personnel que je ne parviendrai jamais, je crois, à oublier .


C'était dans l'été 1942. J'étais alors étudiant en théologie à Montpellier. J'avais décidé d'aller rejoindre à Rivesaltes, pendant les vacances d'été, mon cousin André Dumas qui y était équipier de La Cimade . Et j'y suis arrivé les derniers jours de juillet ou les tous premiers jours d'août, à un moment dont je ne me doutais pas qu'il allait être particulièrement dramatique, puisque c'était celui de la constitution et du départ du premier train de déportation.
La tension était naturellement énorme dans l'îlot K, celui des Juifs, situé au centre du Camp. L'activité de mon cousin était essentiellement d'essayer de faire exempter de ce départ le plus grand nombre possible, en profitant des listes officielles d'exemption qui avaient été annoncées. Situation tout à fait ubuesque ... et hypocrite, puisque finalement tous les « exemptés » (femmes enceintes, plus de 70 ans, enfants en bas âge...) finiront avant la fin de l'été par être emportés par le train suivant. Vous pouvez imaginer l'angoisse ! Au bout de 2 ou 3 jours, le 7août, je crois, vint le moment du départ du train. Et ici se situe le souvenir si douloureux que je n'oublierai jamais.


Au début de l'après midi, sur la grande place d'appel, d'environ trente mètres de large, qui se situait au bord de l'îlot L, le scénario,si je puis dire, fut organisé. Imaginez : d'un côté de la place, derrière une rangée de Gardes mobiles, tous les Juifs de l'îlot K. De l'autre côté, une autre rangée de Gardes. Au milieu, tout seul, le Directeur du Camp, qui se livra à l'appel nominatif, qui dura près de deux heures. Il appelait les personnes l'une après l'autre. L'appelé ou l'appelée devait alors franchir la rangée des Gardes mobiles et traverser toute la place pour aller derrière l'autre rangée des Gardes. Et c'est seulement après sa traversée que le suivant était appelé. Comme le train était prévu pour 700 personnes, vous pouvez imaginer combien a pu durer cette sinistre cérémonie! Dans un silence de mort!
C'est ainsi que j'ai pu voir des couples définitivement séparés, à cause de ces fameuses exemptions. L'un appelé parce qu'il avait 66 ans, l'autre restant parce qu'il avait 70 ans, se regardant ensuite à travers toute la place, en se doutant bien qu'ils ne se reverraient plus jamais sur la terre. Et tout cela dans un silence vraiment de mort. Puis, à la fin de l'appel, plusieurs camions se rangèrent derrière les groupes des appelés. Et, toujours dans ce silence sinistre, ils montèrent dans les camions.


Et soudain, quand les camions se mirent en route, s'élevèrent des chants hébreux, sans doute religieux. Puis les camions disparurent, nous restâmes là, les bras ballants, paralysés d'horreur et de chagrin. Non! Je ne peux l'effacer de ma mémoire.


Vous pouvez imaginer avec certitude qu'au même moment ou presque, la même scène dramatique se déroulait ici à Gurs, et il m'a semblé que je ne pouvais rien vous dire de plus évocateur et de plus dramatiquement significatif."


Jacques Maury.

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