Billet de blog 25 décembre 2015

Jacques Tessier (avatar)

Jacques Tessier

Abonné·e de Mediapart

Autopsie d’un best-seller : "En votre honneur", de James Patterson

J’ai eu comme un problème de conscience en découvrant ce livre. D’emblée, la première de couverture place la barre très haut en nous apprenant que James Patterson est l’auteur de thrillers le plus vendu dans le monde. Plus de cent millions d’exemplaires vendus, vous imaginez ?

Jacques Tessier (avatar)

Jacques Tessier

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
En votre honneur © James Patterson

 Mieux encore, le magazine Forbes affirme qu’il est l’écrivain le mieux payé de la planète, avec un revenu annuel de 70 millions de dollars. Alors là, me suis-je dit, c’est carrément l’apothéose…

 Ces chiffres devenant à leur tour des arguments de vente, ne pouvaient  signifier qu’une chose : ce nouveau livre de Patterson  devait  (forcément) être excellent, sublime, et même – n’hésitons pas devant les gros mots – génialissime.  

Mais aussitôt reconnu  ce fait indubitable, la question se posa, tragique : que faire devant un tel monstre ? Si je me lançais dans sa lecture, le risque était grand de trouver bien fades les romans des auteurs à moindre succès, les Lehane, Grisham, Coben ou Highsmith, qui doivent plafonner à quelques millions d’exemplaires vendus ; et ne parlons pas des Grangé, Lemaitre ou autres Minier qui se contentent de quelques centaines de milliers. Peut-être en serais-je réduit alors à ne plus lire que du James Patterson pour ne pas être déçu ?

  D’un autre côté, ai-je pensé, si je ne lis pas ce thriller, je risque de passer à côté d’un chef-d’œuvre, car tant de dithyrambes chiffrés et de dollars accumulés ne peuvent qu’être l’expression d’une exceptionnelle qualité d’écriture. Du coup, en ne le lisant pas, ma conscience professionnelle de lecteur chronique en prendrait un sacré coup !

  Le choix était difficile, mais vous l’avez deviné en lisant ces lignes, j’ai finalement ouvert le roman de Patterson avec une curiosité gourmande que ses chiffres de vente imposaient, en me posant une question à laquelle je vais tenter de répondre : ce roman est-il à la hauteur de la notoriété de son auteur ?

  Tout d’abord, examinons les personnages.

  Patterson reprend dans "En votre honneur" le personnage d’Alex Cross qui a fait l’essentiel de son succès international. Alex est flanqué de Brianna Stone, appelée tout simplement Bree pour les intimes,  et « le Roc » pour ses collègues. Bree est une flic  aussi séduisante qu’efficace et de plus (ce qui ne gâte rien pour notre héros), diablement amoureuse d’Alex, qui le lui rend bien. Cross, qui est docteur en psychologie, a quitté le FBI pour s’installer comme psychologue en ouvrant un cabinet privé, avec lequel il a autant de succès médiatique que lorsqu’il officiait dans la police.

  C’est la première et même la principale caractéristique de notre cher Alex : non seulement il est ultra-compétent (le meilleur dans son domaine), non seulement il est terriblement séduisant (toutes les femmes vous le diront), mais il est aussi un bon père de famille attentif à ses enfants (comme ceux-ci pourront vous le confirmer) et de plus diablement sympathique (d’après sa concierge). Il est difficile de trouver une qualité qu’il n’aurait pas ! Et c’est très bien ainsi, heureux lecteur, car si le processus d’identification joue à plein, vous serez pendant quelques heures dans la peau d’un super héros, ce qui pourra susciter un effet euphorisant tout ce qu’il y a de plus salutaire pour votre égo.  

Après avoir parlé des gentils (vraiment très gentils) passons aux méchants, vraiment très méchants, comme nous les aimons tous, nous les amateurs de thrillers. Il y en a plusieurs que j’ai découverts au fil des pages, éberlué par tant de vilenies. Tout d’abord un vrai et solide psychopathe, bien sous tous rapports au niveau de sa psychopathie. Pour une fois rien de sexuel dans les crimes très alambiqués qu’il commet. Mais cet individu adore qu’on parle de lui. Il veut bien tuer n’importe qui, mais pas n’importe comment : il faut que les médias soient là et puissent filmer ses crimes en direct. Des crimes particulièrement sanguinolents sinon grand-guignolesques, puisque le but dans la vie de Showman (c’est le nom dont il est affublé), est d’être considéré comme le plus grand criminel de tous les temps.

Heureusement Alex est là, qui va reprendre du service pour tenter de faire triompher le Camp du Bien.­­ Mais là où ça va se compliquer pour lui, c’est qu’il y a un deuxième Méchant encore plus méchant que le premier, qui l’était pourtant déjà beaucoup. Il s’agit de Kyle Craig, un ancien du FBI lui aussi, qui était à l’époque un rival de son collègue Cross dans la compétence et l’habileté professionnelle.

  Kyle décida un beau matin où il s’était levé sans doute du pied gauche, de devenir le tueur en série le plus malin et le plus effroyable de l’histoire. Dans un épisode précédent, il fut stoppé net dans cette belle ambition par son collègue Alex qui l’avait arrêté. Depuis cette date, il croupissait dans un quartier de haute sécurité en vouant une haine aussi farouche qu’inextinguible à son ex-collègue, ne rêvant que d’une chose : se venger de lui.

  Bien sûr, il va réussir à s’évader, et voilà notre Alex passablement ennuyé devant tant de complications. Heureusement le bougre a de la ressource, vous n’en doutez pas.

  Je me garderai bien de vous révéler si au final le Camp du Bien triomphe sur le Camp du Mal en vous laissant vivre le suspense jusqu’au bout, la langue pendante et les yeux exorbités par la crainte. J’en viens maintenant à la question toujours en suspens : ce thriller est-il digne de la réputation de son auteur ?

  Certes, les personnages d’Alex et Bree manquent d’épaisseur psychologique, d’autres (les méchants) sont un tantinet caricaturaux et parfois un peu simplistes, dessinés à grands traits, sans beaucoup de subtilité. Les motivations et la crédibilité de nos tueurs en série sont parfois incertaines et difficilement compréhensibles pour les lecteurs qui ne sont pas des profileurs haut de gamme (c’est mon cas !). Mais enfin, il y a tout de même du suspense, et après tout c’était bien le but recherché.

  À vrai dire, si le livre avait été le premier roman d’un auteur totalement inconnu, j’aurais sans doute été plutôt bienveillant. Patterson sait faire monter la mayonnaise et raconter une histoire, ses romans font d’ailleurs d’excellents scénarios de cinéma. Bien sûr, son écriture n’a pas la grâce et la profondeur que l’on peut retrouver chez un Mankell ou un Ellory, mais il est un artisan compétent, qui sait parfaitement reproduire les copies d’un meuble rustique et bien costaud dont il aurait créé le modèle dans sa jeunesse.

Certains lecteurs pourront sans doute trouver plaisante la lecture de ce thriller, comme est plaisante la contemplation d’une bulle de savon miroitant sous les rayons du soleil, une bulle de savon dont l’éclatante disparition n’encombrera pas trop longtemps votre mémoire.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.