Seyhmus Dagtekin nous fait l'honneur et l'amitié de partager son poème "Les prémisses du bonheur" dans notre édition La poésie et la vie. Avec son sens exacerbé et énigmatique de l'observation, Dagtekin fait de la réalité un immense horizon où se devine la résistance des fourmis, des étoiles et de l'amour.
Seyhmus DAGTEKIN
Les prémisses du bonheur
Ceux qui se hissent, verront
Ceux qui se terrent, mourront
De ce qu’auront vu
Ceux qui se hissent
Nous sommes cernés, mes petits. Il n’y a même pas une seconde de répit
Vous pouvez vous assourdir de vos caquètements
De vos croassements
Nous ne sommes pas moins condamnés
Vous vous êtes battus vaillamment, vous avez plus que résisté
On nous avait prédit une disparition rapide
Un effacement instantané et total
Il sera progressif mais total à terme
Sans savoir ce que nous réserve le terme même de l’effacement
Nos bruits sont couverts par celui de notre fin
Dans ce temps qui nous regarde de l’au-delà de sa disparition
Sans savoir de quelle lumière morte nous sommes l’étoile
Nous sommes cernés, mes petits. Par cette fin que nous cernons. Nous sommes la fin de notre perte. Le temps de notre fin. Nous sommes la rumeur qui précédons notre fin. Le souffle qui la retardons. Nous sommes l’agitation qui la brusquerons. Le flux qui scellerons la fin de l’eau
Entre feu et fleur
Où le bruit
Est l’annonce
De ce qu’il ne fut
Jamais
Combien
suis-je
eau
Dans ce qui m’attire
Combien
me sépare
de toi
Cette Eau
Ce reflet qui persiste
dans le gouffre de l’œil
Il faut que je te voie pour que tu surgisses
Que je te devine pour que tu existes
Que je t’efface pour que tu perdures
Là où l’œil se calme
Le corps s’oublie
Là où tu nais de l’oubli des corps
Quand l’oreille se tend
Vers cette flèche
Qui ne manquera sa cible
De même qu’ils marchent sur l’eau
L’eau les fauchera dans leur marche
Viens petite fourmi
Viens sur mon doigt qui te portera sur ma langue qui te portera sous mes dents
Je te délivrerai
Il y aura une pierre
Non loin de ma tête
Qui me délivrera
Viens
Qui voudras-tu émouvoir de tes cascades, petite fourmi
Les vagues viennent mourir à mes pieds
Jusqu’à la mort de mes pieds
Qui courent derrière chaque chevelure
Pour quémander pitance
Entre ce que tu miroites
Et ce que la langue me prend
Il faut que tu viennes, petite fourmi
Je t’attrape à l’envers
Tu t’échappes à l’endroit
Je te confonds le jour
Tu réveilles la nuit en moi
Il faut que tu viennes
Mes bras te sont tout ouverts
Je peux m’envoler, faire un tour et revenir
Te laisser un peu plus dans le balancement de cette tige, de ces feuilles
Aiguiser un peu plus mon attente
Mais, à la fin, il faut que tu finisses
Petite fourmi
Parce que les vagues qui montent
N’empêchent pas l’eau de descendre
Là, seul, face à qui. Les soupirs sont-ils de mon côté
Les expirs m’incluent-ils dans leur nuit
Pourquoi les étoiles s’éteignent, ne font que scintiller dans l’eau
Pourquoi les arbres se réfugient seuls dans leurs masses
Pourquoi je ne touche par un bout une de tes nuits
Pourquoi ces mots aussi vains que les sauts de poissons
Tombent-ils dans le ciel rapiécé à mes pieds
De combien de vols de viols d’oiseaux remplis-tu la nuit, ô mon amour
Avant d’aller te noyer dans une flaque
Je viens frapper contre la porte de tes rêves
De combien de cadenas me fermes-tu ta nuit, mon amour
Je fais comme si les lumières et les eaux me menaient vers toi
Dans quel dédale égares-tu mes pas, mon amour
Je fais comme si dans chaque étoile, tu clignais
De quelle main les éteins-tu une à une, ô mon amour
Mais la nuit n’entrera dans ma maison
Elle n’y entrera que si tu la précèdes
Ne s’y installera que si tu l’habites
N’en sortira que si tu l’expulses
Pour accoucher du jour
Comme les prémisses du bonheur
Je descends d’une de tes chevelures
Je suinte d’une de tes blessures
Je me reforme dans un de tes sourires
Joyeusement, dans un de tes regards
Tu me touches, je t’exécute
Et de nouveau
Tout est
Tu es
Abolition du hasard