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Billet de blog 12 mai 2013

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Les critiques de la Revue du Projet (N°23)

La Bio entre business et projet de société (Philippe Baqué), Héros et héroïnes de la Révolution française (Serge Bianchi), Histoire de la Bourse (Paul Lagneau-Ymonet, Angelo Riva), De l’agriculture à la ruralité 2012 (SNETAP-FSU), « Les Gauches latino-américaines au pouvoir » (Recherches internationales n° 93), « Agir maintenant » (Économie et Politique n°696-697). Découvrez nos critiques du mois coordonnées par Marine Roussillon.

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Illustration 1

La Bio entre business et projet de société (Philippe Baqué), Héros et héroïnes de la Révolution française (Serge Bianchi), Histoire de la Bourse (Paul Lagneau-Ymonet, Angelo Riva), De l’agriculture à la ruralité 2012 (SNETAP-FSU), « Les Gauches latino-américaines au pouvoir » (Recherches internationales n° 93), « Agir maintenant » (Économie et Politique n°696-697). Découvrez nos critiques du mois coordonnées par Marine Roussillon.

La Bio entre business et projet de société, Philippe Baqué

 Agone, 2012

Alors qu’une nouvelle PAC se négocie à Bruxelles, la « bio » est à la mode. Il est de bon ton de glisser les trois lettres magiques dans n’importe quel discours ou un programme politique, comme il est de plus en plus recommandé de mettre dans les placards de sa cuisine quelques produits avec l’étiquette « AB ». Mais sait-on au moins de quoi on parle ? Sait-on toujours ce que l’on achète ?
La bio, pour la plupart des consommateurs, c’est d’abord un label, c’est-à-dire un cahier des charges défini à l’échelle européenne. Longtemps confinés à un secteur restreint du marché, les produits étiquetés « AB » intéressent aujourd’hui les multinationales de l’agroalimentaire et de la grande distribution. Elles récupèrent le label pour en faire une nouvelle source de profit. En effet, non seulement les exigences techniques du label sont de plus en plus souples, mais surtout, et depuis l’origine, elles ne contiennent rien au sujet des conditions sociales de production. Le grand mérite de ce livre est de donner à voir, à travers une série de cas d’étude, ce que peut être l’agriculture biologique conduite par les intérêts capitalistes : des ouvrières sans-papiers sous-payées pour récolter les fraises en Andalousie aux plantations que se taillent dans le sang les paramilitaires en Colombie ; on est loin du projet des premiers militants de la bio.
Mais ces dérives ne concernent pas uniquement des pays exotiques et des géants de l’agroalimentaire. Les acteurs historiques de la bio en France sont aujourd’hui à la croisée des chemins : comment sortir la bio de son confinement économique et social sans tomber dans les mêmes contradictions que l’agriculture conventionnelle – l’utilisation de produits chimiques en moins ?
La bio comme « projet de société » c’est d’abord la prise en compte des pratiques agricoles non seulement par leurs aspects agronomiques et écologiques mais aussi sociaux, économiques et politiques. Cette piste ouverte, on reste un peu sur notre faim après la lecture de cette série d’enquêtes. Néanmoins en refermant le livre, on a déjà compris que la voie vers une agriculture nourricière, créatrice d’emploi et respectueuse de l’environnement ne passera pas simplement par la labellisation d’une partie croissante des produits consommés.

Augustin Pallière

Héros et héroïnes de la Révolution française, Serge Bianchi 

Comité des travaux historiques scientifiques, 2012.

La Révolution française marque l’avènement de héros d’un genre nouveau, anonymes d’hier propulsés sur le devant de la scène par leur engagement dans le siècle. L’étude de leurs processus d’héroïsation restait pourtant à mener.
Les auteurs nous rappellent que le héros est l’homme de « l’instant salvateur », un martyr qui défend la cause qu’il croit juste au prix de sa vie. Or, durant cette période, la nation en produit à un rythme inégalé. Ceci s’explique d’abord par le besoin de définir une identité républicaine légitime. La République n’a pas encore d’histoire à célébrer, mais il n’est plus acceptable pour elle de commémorer le passé d’une monarchie de droit divin. Elle doit donc recommencer à zéro et mettre en avant de nouvelles vies exemplaires, capables de pérenniser le régime en établissant des références communes, une norme morale. À titre posthume, le héros est donc l’un des acteurs majeurs de la légitimation d’un territoire politique.
Le culte héroïque a été l’objet d’une intense pédagogie politique, afin de transmettre au plus grand nombre les leçons que les morts augustes ont à offrir aux vivants. L’art en est un vecteur puissant. En reprenant sur les tréteaux les hommages funèbres rendus aux héros, les apothéoses théâtrales sont emblématiques de cette démarche qui permet l’édification d’une religion civile dont le temple est le Panthéon. Le champ littéraire n’est pas en reste, comme l’illustrent les Actions héroïques du général Championnet, qui offrent une suite d’exemples patriotiques mettant en scène de simples soldats : la gloire est désormais à portée de tous.
Toutefois, en accoutumant les citoyens à commémorer des individus extraordinaires, le culte des héros républicains a fini par préparer le terrain à la célébration d’un homme unique et bien vivant : Bonaparte. Après le 18 Brumaire, les fêtes du Consulat promeuvent une éthique militaire faite de fidélité et de dévouement au chef, qui favorise la synthèse entre esprit républicain et nouvelles valeurs dynastiques. À long terme, les héros de la Révolution ont pu contribuer à structurer les mémoires locales, nationales et politiques. Le panthéon des communistes français du XXe siècle s’articule par exemple autour des figures jacobines de Robespierre, Saint-Just et Marat. La défense du gouvernement révolutionnaire qui s’exprime à travers ce choix a un sens que ne résume pas le seul soutien au régime soviétique. Elle relève aussi d’une réflexion des historiens communistes sur la manière dont se terminent les révolutions et se pérennisent leurs effets transformateurs.
Suite d’éclairages singuliers, ce travail collectif dense, au spectre chronologique large et à la lecture féconde (en dépit d’une ou deux contributions inégales), nous permet de mieux comprendre le recours intensif à l’imaginaire héroïque durant la Révolution française et l'usage de ses grandes figures jusqu'à nos jours.

 Côme Simien

Histoire de la Bourse, Paul LAGNEAU-YMONET, Angelo RIVA

La Découverte, 2012

À l’heure où les actifs financiers s’échangent sur les réseaux informatiques et où la majorité des ordres sont passés de manière automatique par des ordinateurs appliquant les algorithmes préprogrammés, on en oublierait presque que les bourses existent encore, concentrées dans quelques métropoles mondialisées en concurrence les unes avec les autres. Plus encore, chacune représente un espace social concret doté d’une histoire façonnée au rythme des affrontements entre les agents sociaux qui s’y activent. C’est ce que rappellent les auteurs de ce petit ouvrage de synthèse, en s’intéressant plus particulièrement aux transformations qui ont agité la place de Paris depuis sa création en 1724. Envisageant cette dernière suivant sa fonction d’intermédiation, ils retracent son histoire de manière chronologique en proposant un découpage des trois derniers siècles en cinq phases : sa création pour tenter d’encadrer la liberté des échanges de titres alors perçue comme dangereuse ; son essor sous la Restauration et surtout le Second Empire ; son « âge d’or » à cheval entre XIXe et XXe siècles ; les turbulences liées à la « Grande Transformation » bien perçue par Karl Polanyi dans l’entre-deux-guerres ; puis la période consécutive à 1945, marquée par des efforts d’encadrement de nouveaux endigués à partir des années 1970 avec les fameux « 3 D » qui ont affecté le financement de l’économie : dérégulation, désintermédiation et décloisonnement. Autant d’évolutions incompréhensibles si on ne prête pas attention aux rapports de force sous-jacents, et notamment ceux qui ont accompagné la constitution puis le déclin de la corporation des agents de change. Au-delà de ces « rappels » historiques, cet ouvrage montre surtout que l’évolution de la Bourse est animée par « des enjeux non seulement financiers, mais aussi économiques, sociaux et politiques ».

Igor Martinache

De l’agriculture à la ruralité 2012, Syndicat national de l’enseignement technique agricole public (SNETAP-FSU) 

Ce petit livre réunit les actes des journées d’étude du SNETAP-FSU qui se sont déroulées l’an passé. Les diverses contributions aux débats sont d’abord retranscrites. Il faut saluer l’effort du syndicat pour associer tous les forces progressistes du monde agricole et rural dans leur réflexion : associations de producteurs et de consommateurs, syndicats agricoles, partis politiques, universitaires... autant de portes d’entrée pour saisir les enjeux de l’agriculture et de la ruralité en France. On est donc très loin du corporatisme étroit et le syndicat porte une vision résolument ouverte de l’enseignement agricole aujourd’hui.
Le constat est connu : le modèle agricole mis en place à la sortie de la Seconde Guerre mondiale repose sur la concentration des exploitations, l’intégration des paysans dans les filières de  l’agribusinness, l’hyperspécialisation des territoires et une dépendance croissante dans les énergies fossiles. Ce modèle aujourd’hui se fissure : les paysans sont partout surendettés, les jeunes ne peuvent plus s’installer, la pollution des sols et des nappes entraîne des conséquences à long terme. Contre le schéma d’une agriculture duale (d’un côté une agriculture productiviste, polluante et exportatrice, de l’autre une agriculture de conservation portée à bout de bras par les aides publiques), il y a un autre modèle à inventer, celui d’une agriculture productrice d’aliments, d’emplois et de liens dans les territoires.
Pour relever ce défi, l’enseignement agricole public peut jouer un rôle central. Il s’agit notamment de faire évoluer auprès des élèves l’image de ce qu’est la « modernité » en agriculture : « la valeur d’une exploitation ne se mesure pas uniquement à la puissance du tracteur sous le hangar ». S’il faut préparer un nouveau modèle d’agriculture pour demain, il faut bien sûr faciliter l’installation de nouveaux paysans mais aussi donner envie aux jeunes (issus d’une famille d’agriculteurs ou non, comme 80 % des élèves de l’enseignement agricole public) de s’installer.
Et si longtemps l’enseignement agricole a prolongé le modèle d’intégration capitaliste du secteur paysan, c’est parce que le contenu des enseignements, et au-delà le ministère lui-même, est inféodé au lobbying de l’industrie agroalimentaire et des dirigeants du syndicalisme majoritaire. Cette inféodation se traduit par un enseignement agricole focalisé sur les problèmes techniques « agricolo-agricoles » visant l’employabilité des futurs travailleurs. Les futurs paysans, et salariés agricoles, n’auraient donc le droit qu’à un enseignement « professionnel » que seuls des « professionnels » seraient à même de leur délivrer. On comprend que les enjeux de la défense de l’enseignement agricole public, aujourd’hui menacé dans sa spécificité notamment par la concurrence organisée d’organismes de formation par alternance sans visée émancipatrice, dépassent le cercle des fermes et des champs.

Augustin Palliere
 

« Les Gauches latino-américaines au pouvoir »

Recherches internationales, n° 93

Quelques semaines après la réélection du président Chavez au Venezuela, la revue Recherches internationales livre à ses lecteurs un dossier complet et précis relatif aux dernières évolutions vécues par le sous continent latino-américain.
Dans son article, « Quelles politiques de gauche pour l’Amérique latine ? », Michel Rogalski dépeint les quatre grands enjeux qui cristallisent tant les convergences entre les différents pays latino-américains que leurs divergences : le « rapport à l’extérieur », de l’impérialisme, de Cuba et du Venezuela à la « diplomatie du "grain de sable" développée par la Bolivie sur les questions environnementales et climatiques » ; la prise en compte des inégalités ; la mise en œuvre du pouvoir et enfin la construction d’un développement de type nouveau.
Les processus actuels dans cette région du globe ne sont pas ici appréhendés comme des modèles idéaux. L’interview de Franck Gaudichaud, président de l’association France-Amérique latine, développe ainsi plusieurs critiques, qui tombent parfois dans le travers de vouloir calquer sur le contexte latino-américain des réflexions politiques propres à la situation européenne.
D’autres articles détaillent la situation économique du sous-continent – avec la question d’un nouveau type de « développementisme » au travers d’une contribution très fournie de Luiz Carlos Bresser-Perreira et de Daniela Teuheur, ou celle de l’intégration économique sous la plume d’Alexis Saludjian. Jean Ortiz et Marielle Nicolas adoptent plutôt le point de vue des sciences politiques en questionnant la concordance entre les changements actuels et l’idéologie de Che Guevara.
L’ensemble du dossier rappelle quatre éléments fondamentaux de l’histoire politique de l’Amérique latine :
- une longue tradition de domination par des dictatures inféodées à Washington (liées à la fameuse doctrine Monroe de 1823), qui tend à s’éloigner grâce aux politiques anti-impérialistes ;
- un développement actuel de la contestation de l’ordre capitaliste qui fait suite aux années 1980 où la région constituait le laboratoire des politiques néolibérales en Amérique-latine ;
- un rapport problématique à la notion de « populisme », dans la mesure où cette tradition politique est commune à tous les pays depuis les années 1930 et correspond bien souvent à des politiques de grande ampleur en direction des couches les plus exploitées des populations ;
- enfin, un lien étroit entre question sociale et question nationale : les mouvements progressistes latino-américains ont toujours allié Marx et Bolivar.

Alexis Coskun

« Agir maintenant » Économie et Politique, n°696-697

S'il fallait caractériser d'un mot la politique économique et sociale du gouvernement actuel, ce serait incontestablement : ambiguë et contradictoire. À force d'envoyer des signaux tantôt au patronat et tantôt aux classes populaires, son message apparaît à bien des égards brouillé. À moins de savoir lire entre les lignes, comme s'efforcent de le faire les contributeurs du numéro d’Economie et Politique. Après avoir décrypté l'inaction de l'exécutif devant l'hémorragie de l'emploi ainsi que les mirages du soi-disant « retard » de l'économie française face à sa voisine allemande, Yves Dimicoli rappelle un certain nombre de propositions du Front de gauche, qui sont aussi l'occasion de souligner les véritables enjeux posés par la situation actuelle : suspension des licenciements, réforme du crédit – avec notamment la mise en place d'un vrai pôle financier public – et relance des services publics à l'encontre de leur démantèlement progressif toujours ininterrompu. Le dossier de ce numéro est pour sa part consacré au suivi de la conférence sociale : Régis Regnault montre ainsi que le changement de méthode affiché en matière de dialogue social n'implique pas de réelles transformations sur le fond et est au contraire lourd de fortes déceptions à venir, à l'instar du Grenelle de l'environnement, faute de mettre sur la table la question de la sécurité sociale professionnelle, avancée par le Front de gauche ou la CGT. Même ambiguïté, note Catherine Mills, s’agissant du financement de la protection sociale, et en particulier des retraites. À lire également entre autres dans ce numéro une analyse de Frédéric Rauch suggérant que le problème de PSA n’est pas le coût du travail, mais celui du capital, ainsi que de mauvais choix stratégiques pris par la direction, ainsi qu'un article de Kent Hudson présentant le Community Reinvestment Act, une législation étatsunienne de 1977 obligeant les banques à démontrer qu'elles assurent un financement équitable et prudent de tous les territoires du pays. Un texte dont la récente faillite de Dexia suffit à comprendre l'intérêt de s’en inspirer...

Igor Martinache
 

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