
Entretien avec Corinne Luxembourg* réalisé pour le dossier principal de la Revue du Projet du mois de Mars.
La thématique du « capitalisme vert » tend à prendre une place croissante dans le discours politique, managérial et publicitaire. Qu'en pensez-vous ?
Corinne Luxembourg.
Le capitalisme vert est présenté comme un modèle de transition du capitalisme qui réussirait à prendre en charge les problèmes environnementaux en même temps que s’ouvriraient de nouveaux marchés et donc de nouvelles possibilités d’accumulation. On n’a d’ailleurs, depuis quelques temps, jamais autant entendu parler de « production verte », dût-elle être délocalisée, de« croissance propre », peu importe qu’elle induise comme la « croissance sale » des restructurations salariales. En affichant les résolutions du protocolede Kyoto visant à réduire les gaz à effet deserre et les rejets de carbone en particulier, tout se passe comme si les risques industriels n’existaient plus : exit les victimes de Bhopal comme celles de l’amiante. Parier sur le capitalisme vert comme une nouvelle croissance, un nouveau stade d’un capitalisme propre, c’est confier à la seule capacité d’innovation technologique à la fois la résolution des enjeux climatiques et la définitionde ce nouveau régime d’accumulation capitaliste. Mais cette fusion de l’écologie et de l’économie capitaliste n’est nicrédible, ni réaliste.
Le capitalisme vert ne serait donc pas l’issue crédible à la crise environnementale qu’on nous présente ?
C. L. : Ce capitalisme vert n’est une solution à rien, sinon au besoin d’ouverture de nouveaux marchés et au développement du marketing. En réalité le capitalisme vert est une publicité mensongère. Si l’on décide de prendre le développement durable, tel qu’il a été développé à l’origine dans le rapport Brundtland en1987 puis lors de la conférence de Rio en1992, comme objectif pour la société dedemain, alors il est nécessaire de remettreen cause la totalité de l’économie actuelle et son fonctionnement. Pour rejoindre Hervé Kempf : « Pour sauver la planète,sortez du capitalisme ». On ne peut raisonnablement pas construire des usines aux normes environnementales particulièrement strictes si dans le même temps les transports, la consommation globale d’énergie continuent d’augmenter. De la même façon, parler d’exigencede durabilité est absolument incompatible avec les délocalisations industrielles ou le productivisme agricole qui n’obéissent qu’aux exigences de rentabilité financière.
Concrètement ?
C. L. : Prenons quelques exemples. Depuis une vingtaine d’années, la surviede l’espèce humaine redevient un paramètre économique essentiel. Nourrir leshommes pose fondamentalement le choix d’un projet de société : ou bien le productivisme à l’oeuvre qui, en caricaturant à peine, fait que manger devient dangereux et pour soi et pour la planète ; ou bien le respect des hommes, des climats et des sols. C’est la même alternative pour la production des biens de consommation : ou bien l’économie mondialisée qui fait délocaliser des usines des anciens Bébés Tigres vers des régions encore moins soumises à des législations sociales et environnementales pour baisser les coûts ; ou bien une mondialisation d’innovation sociale et citoyenne préférant la proximité des marchés. Autre exemple à une échelle plus grande : la ville. L’heure est aux écoquartiers, slogan, marketing ou réelle inquiétude de développement durable ? Selon les choix qui seront faits l’écoquartier confortera une ville privatisée ou une ville ouverte. Le risque est grand aujourd’hui que ces quartiers en portant les meilleures innovations technologiques en termes d’isolation, de faible consommation d’énergie, ne soient réservés qu’à une élite urbaine, en renforçant mécaniquement la spéculation foncière déjà violente dans les grandes agglomérations et, de fait, l’injustice spatiale.
*Corinne Luxembourg est maître de conférence à l’Université d’Artois
*Guillaume Quaschie-Vauclin est agrégé d'histoire et membre de l'équipe de la Revue du Projet