«Des vœux de combat et d’avenir », avaient promis les proches de François Hollande à l’occasion de l’allocution télévisée du président de la République, ce 31 décembre.

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Alors que le couperet des derniers chiffres de l’emploi venait de tomber, annonçant officiellement l’échec de la promesse d’inverser la fameuse courbe du chômage avant fin 2013, le président et son équipe ont martelé qu'ils étaient sur la bonne voie. Il a annoncé la mise en place d’un Pacte de responsabilité des entreprises, résumé ainsi : « moins de charges et moins de contraintes sur l’activité », contre « plus d’embauches et de dialogue ».
Une exégèse peu rassurante
En proposant la fin des cotisations familiales patronales, le président de la République a répondu à une vieille exigence de classe du MEDEF et fait un nouveau cadeau de 30 milliards au patronat après les 20 milliards du Crédit d’impôt compétitivité pour les entreprises (CICE). Aucune mention n’a été faite des « contreparties » incluant le paquet surprise du chef de l’État, si l’on exclut les négociations de branche. Sans surprise, le président du MEDEF – Pierre Gattaz – a salué « le plus grand compromis social depuis des décennies », affirmant au passage que ce discours témoignait d’une « prise de conscience de la réalité de la France » (Le Figaro, 15/01/14). On pourrait croire – tout comme Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT – que « Pierre Gattaz est premier ministre » (Le Monde, 20/01/13).
Le « tournant » de Hollande avait déjà été débattu après ses vœux du 31 décembre. Mais quel tournant ? Celui d’un socialiste vers la social-démocratie, ou bien celui de la « nécessité » comme l’a énoncé Jacques Julliard (Marianne, 18/01/14) ? En tout cas, il s’agit bien « d’une accélération » de la politique menée même si François Hollande se défend de s’être engagé vers la voie libérale en disant qu’il ne fait que du « donnant-donnant avec le patronat » (Le Monde, 18/01/14). Du côté de la presse, le doute est en revanche moins présent. Excepté celle du courant de l’opposition, Le Figaro, tous s’accordent à affirmer, ou à avouer, selon les réticences, le virage tant annoncé.
Rupture, décalage ou coming out ?
Si le Pacte de compétitivité annoncé en novembre 2012 avait bien enterré le discours du Bourget, il n’avait pourtant pas déclenché de réactions quant à un changement radical de politique. Question de visibilité, sûrement. La médiatisation des vœux du président expose clairement ce que Hollande essaie de nous faire comprendre depuis près de deux ans déjà. S’il est bien explicite que les entreprises seront de nouveau privilégiées et mises au cœur des efforts de l’État, rien n’est clairement dit sur les conditions du dialogue social, de ses acteurs ou de ses objectifs (Le Monde, 9/01/ 2014).
L’UMP n’en mène pas large, malgré le scepticisme déclaré de ses membres quant à l’application du Pacte. Et cela n’est pourtant pas pour réjouir les sympathisants socialistes : car en assumant une politique libérale, le président a coupé l’herbe sous le pied de l’opposition. Moins de charges sur les entreprises, moins de dépenses publiques, moins d’impôts… Le nouveau programme économique de Hollande dame le pion à la droite, dans une similitude évidente avec les vœux de Jean-François Copé du 30 décembre : « Il est urgent de baisser drastiquement les impôts, les charges sociales et la dépense publique, de supprimer sans trembler toutes les réglementations absurdes » (Le Monde, 7/01/14).
Le « tournant » annoncé doit donc s’analyser à deux niveaux : le premier est celui qui oppose la période où François Hollande était encore candidat à l’élection présidentielle et celle d’aujourd’hui. À ce premier degré, il y a bien une rupture entre l’annonce et les pratiques. Ainsi, pour Élie Cohen, qui répond au Monde, le 8 janvier 2014 : « les choix politiques affichés par le président lors de ses vœux sont en rupture par rapport à ceux qu’il a faits depuis son élection », évoquant l’augmentation des impôts ou la réduction des dépenses publiques. En revanche, rien à dire sur la continuité des pratiques avec le discours du candidat Hollande aux primaires socialistes de 2011 : à l’époque, rappelle l’économiste, l’ancien secrétaire du PS avait focalisé son programme sur la résorption de la dette, plaidant pour un rééquilibrage des comptes publics plus rapide et radical que celui proposé par le PS. Il défendait enfin déjà l’idée d’un « pacte productif », n’hésitant pas à se présenter, dans son livre Le Rêve français (Privat, 2011), en promoteur de « l’esprit d’entreprise ».
Il semble donc acquis que les paroles et les actes ne collent pas. Mais faut-il vraiment parler de « tournant », ou n’est-ce pas simplement l’affirmation d’une synthèse libérale faite lors de sa conférence de presse du 14 janvier ? Il n’était pas nécessaire d’attendre cette épiphanie télévisuelle pour se rendre compte que l’argument de la « rupture idéologique » ne tient pas.
Quand la gauche « bougeait »... il y a trente ans
Le tournant 2014 « rappelle 1983 par les enjeux et la méthode » comme le souligne Jean-Pierre Robin dans Le Figaro du 19 janvier. Il faut remonter aux années 1980, aux premiers pas de François Hollande en politique, pour comprendre les origines du discours libéral de ce dernier. Dès sa sortie des bancs de l’ENA, au sein de la célèbre « promotion Voltaire » (1980), il s’engage dans la campagne présidentielle de 1981 pour l’union de la gauche. Après l’élection de François Mitterrand, le 10 mai 1981, et deux premières années de présidence marquées par la nomination de ministres communistes et de nombreuses nationalisations, le premier plan de rigueur de 1983 marque un premier « tournant » dans la conversion du Parti socialiste à l’idéologie néolibérale, marquant la naissance du consensus de ses membres autour d’une gauche se qualifiant de « moderne ».
C’est dans un ouvrage collectif tombé dans l’oubli, et aujourd’hui « épuisé », que se trouve l’embryon idéologique de l’actuel « tournant social-démocrate ». C’est en relisant La Gauche bouge, publié en 1985 aux éditions Jean-Claude Lattès, qu’on voit comment François Hollande prônait déjà ouvertement le libéralisme sous le pseudonyme de Jean-François Trans, aux côtés de Jean-Pierre Jouyet, ancien camarade de promotion, et de ceux du mouvement « Trans-courants » (Jean-Michel Gaillard, Jean-Yves Le Drian et Jean-Pierre Mignard). La « bande des cinq » affichait une ambition politique claire : créer une « troisième voie » fondée sur une économie de marché mondialisée et « une réflexion progressiste coupée de tout courant idéologique ». Dans le contexte des politiques néolibérales d’alors, il semblerait qu’une politique économique de gauche, fondée sur une relance par la demande, ne correspondait plus à « l’efficacité économique ».
Finalement, le libéralisme de François Hollande n’a jamais faibli, en trente ans de carrière politique. Suite aux multiples abandons des salariés (d’Arcelor Mittal ou de Petit-Couronne, entre autres) au bénéfice des entrepreneurs, ce « pacte d’irresponsabilité sociale », dénoncé par Pierre Laurent dans l’Humanité du 15 janvier, a définitivement fait tomber le masque présidentiel qui ne trompe plus personne. En concluant un pacte donnant la priorité au patronat, c’est le contrat social que le « président des patrons » risque d’enterrer.
La Revue du projet, n° 34, février 2014