Le présent propos est issu d’une commande de la Ville d’Oslo dans le cadre du programme « Levende Oslo ».
Oslo ville capitaleOslo est la capitale heureuse de la Norvège, pays prospère du fait notamment de ses ressources pétrolières. C’est aussi la plus grande ville d’un pays de moins de 5 millions d’habitants, composé de fjords, de forêts, de montagnes. La nature s’étend jusqu’au cap nord, quelques villes comme Trondheim ou Bergen faisant exception. L’urbanité d’Oslo, cité de 500000 habitants dans une agglomération qui en possède 1 million, ne procède donc pas de celle des grandes métropoles mais s’analyse dans le rapport que la ville entretient avec la nature. Il n’est pas étonnant pour un citadin de prendre le bac pour rentrer chez lui ou le métro pour aller faire du ski !Une ville en développementMais la ville entend aussi profiter à la fois de son rôle de capitale et d’une conjoncture économique favorable pour accélérer sa mutation. Elle souhaite accueillir 200 000 nouveaux habitants à moyen terme et se revendique comme une cité dynamique, ouverte aux innovations, assumant la concurrence avec sa voisine danoise, Copenhague. D’anciennes zones portuaires libérées lui donnent l’opportunité de s’étendre et la possibilité de reconquérir les bords du fjord. Sur Aker Brygge puis Tjuvhlomen (en cours) et maintenant Bjorvika à l’est sont prévus de l’habitat, des activités économiques ou commerciales, des équipements culturels, des espaces publics, etc. Ces nouveaux quartiers sont situés en bordure même de la ville ancienne et à proximité immédiate de la centralité actuelle structurée notamment autour de Karl Johans Gate, la grande rue piétonne d’Oslo. L’enjeu de la centralitéComme on le voit déjà avec l’achèvement d’Aker Brygge, ces nouveaux quartiers vont changer la configuration de la centralité d’Oslo, étendant sa dimension, enrichissant la nature de l’offre d’activités, modifiant les flux et les intensités urbaines. Cela peut avoir un impact positif, les différentes parties se reliant et se complétant pour créer le grand centre d’une capitale accueillante, active et vive d’un pays prospère. Mais le risque existe aussi que l’on construise un nouveau centre, séparé de celui qui existe, lui faisant concurrence et l’affaiblissant. Ce n’est pas la volonté de la ville, mais entre les principes urbains affichés et la réalité de ce qui sera produit, le chemin est long et les écueils nombreux. La nécessité de relier par l’espace public ville existante et quartiers nouveauxLe lien sera assuré par de bonnes connexions en transports, par des rues reliées entre elles. Il se fera par une attention à la complémentarité des programmes, par des continuités commerciales. Mais il existera surtout si les espaces publics forment pour les piétons des liens, des passages, des articulations confortables et efficaces avec les territoires hétérogènes de la ville existante. Cela suppose que tout projet, quelle que soit sa fonction (transport, déplacements, commerces, etc.) ou son maître d’ouvrage, soit en même temps vecteur de confort urbain et de continuité ? Or on ne peut l’obtenir naturellement, à Oslo comme souvent ailleurs, le mode de production conduisant plutôt au contraire. Dans ce sens, les places autour de la gare centrale joueront un rôle déterminant dans la cohérence entre le centre actuel et Bjorvika. Or une prise en compte trop faible des déplacements piétons au détriment d’une efficacité maximum des transports publics pourrait renforcer la coupure existante au lieu de l’effacer.Et ce lien entre l’ancien et le nouveau existera également si sont offerts des parcours agréables reliant entre eux des « équipements urbains attractifs » : la gare, l’avenue commerçante (Nyland allé), la vieille ville, le bord du fjord. Il n’est pas suffisant de faire circuler des trams, passer des voitures, ou construire des bureaux. Il faut aussi une approche, urbaine justement, qui valorise chaque partie tout en recherchant une synergie maximum entre tous les éléments. Et c’est bien l’espace public qui constitue une des composantes majeures de la construction de l’urbanité. Une organisation pour aborder la complexité de l’urbainIl nous paraît essentiel que la Ville d’Oslo n’en reste pas à concevoir un projet urbain de qualité mais s’assure que le passage à l’acte que constituera chaque projet soit lui aussi porteur de qualité. Cette conscience bien sûr existe et le programme « Lebend in Oslo » en témoigne. Une des manières de le concrétiser pourrait être de favoriser les approches horizontales entre disciplines, entre professionnels et même entre politiques afin que l’action de chacun, dans sa responsabilité, soit cohérente avec celle des autres, que les effets soient cumulés et non se contredisent. Une organisation spécifique pourrait être recherchée dans ce but, qui permette aussi d’assumer les contradictions, les conflits parfois et rende possible l’arbitrage, la prise de décision. Elle pourrait s’accompagner d’une évolution des métiers, une partie de l’administration orientant son savoir-faire spécialisé vers la gestion de projets complexes, discipline nécessaire à toute volonté de production de l’urbanité liée notamment aux espaces urbains. La production de projets cohérents à partir des contradictions mêmes des sujets urbains pourrait alors être assurée par l’appel à des concepteurs privés.Le privé et le public, un partenariat obligé et des jeux de rôles Cette transformation des rôles est d’autant plus importante qu’à Bjorvika, les espaces publics seront construits par les promoteurs privés engagés dans le quartier. Ils ont, avec la collectivité, des buts communs, mais possèdent aussi leurs intérêts et leurs logiques propres. Les orientations données par le public sont donc essentielles et les programmes doivent être soignés, le contrôle des projets rigoureux, dans des conditions difficiles vu le nombre d’acteurs impliqués. L’exemple de Nyland Allé, avenue centrale du futur Bjorvika est éclairant : elle pourra soit lier la ville au nouveau front de fjord, soit accentuer la coupure. Elle doit déjà accueillir sites propres de transports en commun, pistes cyclables, voies automobiles, arbres, signalisation, piétons, sans compter les contingences liées aux activités qui la bordent (livraisons, entrées chartières, arrêts de bus, etc.). Or sa largeur n’est pas extensible. Certes un architecte paysagiste unique, Rainer Stanger, conçoit le projet. Mais la réalisation devrait être confiée à chacun des promoteurs. Comment dans ces conditions assurer que les trottoirs seront larges, que les passages piétons seront vastes et confortables et qu’il faudra leur donner la priorité aux carrefours plutôt qu’autres fonctions de déplacement ? Pourtant c’est de la réponse que dépend la qualité du résultat final. Cela signifie négociation, conflits, équilibre, cohérence et ne peut être assumé sans que la ville s’organise elle-même pour que cet objectif puisse devenir réalité. Impossible ? Trop compliqué ? Le nouvel Opéra montre au contraire magistralement l’exemple de la richesse urbaine qu’un projet est, dans certaines conditions, en mesure de produire.L’Opéra, un équipement culturel et urbain d’exceptionIl aurait pu, à l’image de l’Opéra de Copenhague, assurer très bien sa fonction artistique et être un beau monument architectural. Non seulement il possède ces qualités mais de plus il fait lieu et est en lien avec la ville. En effet, il possède un espace public intérieur accueillant, invitant même et qui propose une approche plastique remarquable. Mais il est aussi un espace public extérieur majeur, qui d’une part propose l’expérience de l’ascension de son toit et donc de la découverte exceptionnelle du fjord et du paysage de la ville, et d’autre part qui fait lien avec les futurs espaces urbains et les bords du fjord. L’Opéra est emblématique mais les projets à venir de construction, de transport ou d’espaces publics, même plus modestes, devraient être conçus pour favoriser eux aussi une appropriation par d’autres usages que ceux liés à leur seule fonction. C’est une des conditions de la réussite de l’articulation des nouveaux quartiers avec la ville existante. Quid face à la crise, innover, inventer ?Les conditions économiques étaient jusqu’à peu excellentes. Mais la Norvège devrait aussi être touchée par les fluctuations du pétrole et par la crise économique et financière actuelle. Le temps de construction du nouveau quartier en sera donc modifié. Comment faire alors pour qu’il ne soit pas bloqué à un stade inacceptable pour un fonctionnement urbain correct ? Confier la responsabilité de la réalisation de certains espaces publics au secteur privé ne facilite pas des solutions intermédiaires d’attente ; des mécanismes comme ceux utilisés en France, où les collectivités sont responsables des équipements et sollicitent une participation du privé, seraient plus opérants dans ces conditions. En revanche, il pourrait être intéressant de concevoir des aménagements intermédiaires, provisoires et à faible coût, dont le but serait d’anticiper la manière dont le quartier vivra dans l’avenir, d’assurer son fonctionnement dés à présent, d’éviter que ce qui a été réalisé ne soit altéré du fait da la venue trop tardive des projets nouveaux.Or la société urbaine d’Oslo est ouverte, peu touchée par les conflits dans l’espace urbain, comme en témoigne la facilité d’accès aux lieux du pouvoir comme les ministères. Elle ne souffre pas comme dans bien d’autres grandes villes de difficultés sociales qui rendent les actions sur l’espace public complexes, conflictuelles, fragiles. Une belle opportunité pourrait être alors offerte pour expérimenter, innover, tester, faire vivre : un projet culturel et social en attendant un quartier urbain. Paris le 4 janvier 2009(Le présent propos est issu d’une commande de la Ville d’Oslo dans le cadre du programme « Levende Oslo ». Il s’est construit à partir de visites et de rencontres avec des acteurs. Il a déjà fait l’objet d’une présentation lors d’un colloque organisé par Norsk Form le 19 novembre 2008).Billet de blog 5 janvier 2009
Oslo, son fjord, son centre, son Opéra
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